Ô funeste paresse de l'âme, ô terrible impuissance ! Pourquoi le faux intellectuel qui sommeille en moi - comme en tout homme - continue-t-il de rêver à d'édifiants spectacles, à d'enthousiasmants ballets, à de riches opéras, quand il est si réconfortant de se laisser absorber par la simplicité bête et chaleureuse d'un entertainment grand public tout directement dédié à une audience aussi active qu'une anémone, aussi éduquée qu'une mouche ? Un bon navet pour adolescents, projeté volume à fond dans un immense complexe multisalles : quoi de plus parlant ? L'appel de la junk-culture a donc de nouveau frappé. En ce calme dernier mardi de l'été étudiant, j'ai été écouter Scott Pilgrim VS The World, un sanctuaire délirant à la gloire du geek qui bleepe en chacun de nous.
(copyright Bryan Lee O'Malley)
Et de fait, ce fut un très heureux moment, une sorte de pèlerinage schizophrène - pertinent lorsque le héros s'appelle Pilgrim - à la fois dans le très court passé et surtout dans le très riche avenir de ma relation au Canada anglophone. D'abord parce que le seul cinéma qui joue le film en VO au centre-ville est le Forum, haut lieu de l'histoire mondiale du hockey sur glace, théâtre des derniers exploits des Canadiens pré-Halak - et cela remonte quand même à 1993 -, et que la beauté du geste a voulu que les deux premières personnes que je croise soient affublées d'un rouge chandail des Habs ("you gotta be kidding me!").
En second lieu parce que le film, tout simplement, est très bon. Tiré d'une bande dessinée à grand succès et à laquelle il a su rester admirablement fidèle, au point que les acteurs semblent avoir été recrutés uniquement sur leur ressemblance avec des personnages de cartoon, il traite de sujets aussi cruciaux dans le cours de la vie que les répétitions dans un garage d'un médiocre groupe de punk, les premiers rendez-vous galants avec une lycéenne chinoise à la famille conservatrice ou encore la fascination d'un jeune homme, aussi physiquement pubère qu'intellectuellement immature, pour les jeux vidéos et la baston façon kungfu.
Scott vit donc dans un semi sous-sol enneigé d'un quartier pavillonnaire de Toronto, partage une pièce unique et un lit unique avec un colocataire gay pour le moins altruiste, réalise avec sa high school date des combos sur la piste de danse virtuelle d'une salle d'arcade parfaitement addictive. Toute la bobine est truffée de références à l'univers vidéo-ludique, du thème de Universal ré-écrit avec les synthés de Super Mario à la barre d'urine qui clignote dans le coin supérieur droit, sans oublier la jouissance instantanée de ramasser des pièces d'or à la pelle sitôt qu'on a foudroyé un adversaire. Car des adversaires, il y en a : sept précisément, soit le nombre d'ex-petits amis de la superbe et lunatique Ramona Flowers, qui vient de s'installer en ville avec son passé trouble. La petite chinoise - interprétée au demeurant par la championne de taekwondo Ellen Wong, ce qui explique pas mal la fluidité des scènes de combat - n'a plus qu'à bien se tenir : car notre Pilgrim est tombé éperdument amoureux !
En vérité, ce film m'a profondément touché car il rend un très bel hommage à (parait-il Toronto dans laquelle je n'ai certes jamais posé les pieds, mais aussi à) la jeunesse skateuse et désabusée du Canada anglophone, grandie à l'école du mall, de Starbucks et de Blink182. Des héros ni très beaux ni très futés mais terriblement attachants, pleins d'humour et d'entrain comme pour mieux se protéger du froid qui recouvre toute l'action (de Toronto, en vérité, on ne voit guère que la neige). On y retrouve l'extraordinaire flexibilité géographique, professionnelle mais aussi affective de ce peuple qui, dispersé en petits groupes le long d'un continent voué aux MacJobs, semble avoir mieux que quiconque appris la mobilité ("- She's no longer in town? - No, she went to Montreal to find her boyfriend, but he had moved back to Vancouver with a girl, so she decided to give it a try and stayed there").
Mon premier mois montréalais fut à ce titre fascinant : immobilisé par l'hiver et la pauvreté, je traînais mes guêtres avec trois Ontariens dans un immense 8 1/2 de Griffintown, peuplé jour après jour de cousins, de voyageurs, d'ivrognes, de chiens, de punks et de musiciens amateurs, tous perpétuellement en mouvement, à la recherche d'un but sans doute, ne serait-ce qu'à très court terme. Chaos complet. Ce que l'on y perd en constructivité, on le regagne en spontanéité, en camaraderie, en don de soi. Les rencontres sont aussi sincères que passagères, les lendemains importent peu, ici c'est bien le soir qui chante. Ô douce bûcheronne des forêts du Saskatchewan, toi qui m'apportas un peu de chaleur par une glaciale nuit d'avril, toi que je savais il y a peu encore en Oregon et où que tu sois demain, si tu lis un jour ces lignes, toi qui ne parles point français, sache que ton histoire, tes yeux, ta naïveté, ta franchise m'ont fasciné et que je garde de toi comme de tes semblables un souvenir ému, légèrement teinté de mépris autant que d'admiration, pour votre façon de vivre, pour votre approche de la liberté incroyable tant elle est ingénue.
En second lieu parce que le film, tout simplement, est très bon. Tiré d'une bande dessinée à grand succès et à laquelle il a su rester admirablement fidèle, au point que les acteurs semblent avoir été recrutés uniquement sur leur ressemblance avec des personnages de cartoon, il traite de sujets aussi cruciaux dans le cours de la vie que les répétitions dans un garage d'un médiocre groupe de punk, les premiers rendez-vous galants avec une lycéenne chinoise à la famille conservatrice ou encore la fascination d'un jeune homme, aussi physiquement pubère qu'intellectuellement immature, pour les jeux vidéos et la baston façon kungfu.
Scott vit donc dans un semi sous-sol enneigé d'un quartier pavillonnaire de Toronto, partage une pièce unique et un lit unique avec un colocataire gay pour le moins altruiste, réalise avec sa high school date des combos sur la piste de danse virtuelle d'une salle d'arcade parfaitement addictive. Toute la bobine est truffée de références à l'univers vidéo-ludique, du thème de Universal ré-écrit avec les synthés de Super Mario à la barre d'urine qui clignote dans le coin supérieur droit, sans oublier la jouissance instantanée de ramasser des pièces d'or à la pelle sitôt qu'on a foudroyé un adversaire. Car des adversaires, il y en a : sept précisément, soit le nombre d'ex-petits amis de la superbe et lunatique Ramona Flowers, qui vient de s'installer en ville avec son passé trouble. La petite chinoise - interprétée au demeurant par la championne de taekwondo Ellen Wong, ce qui explique pas mal la fluidité des scènes de combat - n'a plus qu'à bien se tenir : car notre Pilgrim est tombé éperdument amoureux !
En vérité, ce film m'a profondément touché car il rend un très bel hommage à (parait-il Toronto dans laquelle je n'ai certes jamais posé les pieds, mais aussi à) la jeunesse skateuse et désabusée du Canada anglophone, grandie à l'école du mall, de Starbucks et de Blink182. Des héros ni très beaux ni très futés mais terriblement attachants, pleins d'humour et d'entrain comme pour mieux se protéger du froid qui recouvre toute l'action (de Toronto, en vérité, on ne voit guère que la neige). On y retrouve l'extraordinaire flexibilité géographique, professionnelle mais aussi affective de ce peuple qui, dispersé en petits groupes le long d'un continent voué aux MacJobs, semble avoir mieux que quiconque appris la mobilité ("- She's no longer in town? - No, she went to Montreal to find her boyfriend, but he had moved back to Vancouver with a girl, so she decided to give it a try and stayed there").
Mon premier mois montréalais fut à ce titre fascinant : immobilisé par l'hiver et la pauvreté, je traînais mes guêtres avec trois Ontariens dans un immense 8 1/2 de Griffintown, peuplé jour après jour de cousins, de voyageurs, d'ivrognes, de chiens, de punks et de musiciens amateurs, tous perpétuellement en mouvement, à la recherche d'un but sans doute, ne serait-ce qu'à très court terme. Chaos complet. Ce que l'on y perd en constructivité, on le regagne en spontanéité, en camaraderie, en don de soi. Les rencontres sont aussi sincères que passagères, les lendemains importent peu, ici c'est bien le soir qui chante. Ô douce bûcheronne des forêts du Saskatchewan, toi qui m'apportas un peu de chaleur par une glaciale nuit d'avril, toi que je savais il y a peu encore en Oregon et où que tu sois demain, si tu lis un jour ces lignes, toi qui ne parles point français, sache que ton histoire, tes yeux, ta naïveté, ta franchise m'ont fasciné et que je garde de toi comme de tes semblables un souvenir ému, légèrement teinté de mépris autant que d'admiration, pour votre façon de vivre, pour votre approche de la liberté incroyable tant elle est ingénue.
Ce que Scott Pilgrim m'a apporté, ou rapporté, c'est donc un heureux petit moment d'innocence, d'inconscience plutôt de sa propre condition, une incursion reposante dans le monde des posts-ados qui ne veulent pas grandir, dans le chaud cocon du geek accro à sa console, dans l'univers magique des étudiants perpétuels.
L'aventure aura voulu que le lendemain midi on m'invite à dîner sur la pelouse de McGill dont c'était la journée de rentrée. Le campus et tout le ghetto alentours fourmillaient de groupes de jeunes excités comme des puces, frais comme des carottes du jardin, légèrement rosées, la touffe de fanes battant dans le grand vent. And that, was totally cool.