jeudi 26 août 2010

How cool is Ontario anyway?

Ô funeste paresse de l'âme, ô terrible impuissance ! Pourquoi le faux intellectuel qui sommeille en moi - comme en tout homme - continue-t-il de rêver à d'édifiants spectacles, à d'enthousiasmants ballets, à de riches opéras, quand il est si réconfortant de se laisser absorber par la simplicité bête et chaleureuse d'un entertainment grand public tout directement dédié à une audience aussi active qu'une anémone, aussi éduquée qu'une mouche ? Un bon navet pour adolescents, projeté volume à fond dans un immense complexe multisalles : quoi de plus parlant ? L'appel de la junk-culture a donc de nouveau frappé. En ce calme dernier mardi de l'été étudiant, j'ai été écouter Scott Pilgrim VS The World, un sanctuaire délirant à la gloire du geek qui bleepe en chacun de nous.


(copyright Bryan Lee O'Malley)
Et de fait, ce fut un très heureux moment, une sorte de pèlerinage schizophrène - pertinent lorsque le héros s'appelle Pilgrim - à la fois dans le très court passé et surtout dans le très riche avenir de ma relation au Canada anglophone. D'abord parce que le seul cinéma qui joue le film en VO au centre-ville est le Forum, haut lieu de l'histoire mondiale du hockey sur glace, théâtre des derniers exploits des Canadiens pré-Halak  - et cela remonte quand même à 1993 -, et que la beauté du geste a voulu que les deux premières personnes que je croise soient affublées d'un rouge chandail des Habs ("you gotta be kidding me!").

En second lieu parce que le film, tout simplement, est très bon. Tiré d'une bande dessinée à grand succès et à laquelle il a su rester admirablement fidèle, au point que les acteurs semblent avoir été recrutés uniquement sur leur ressemblance avec des personnages de cartoon, il traite de sujets aussi cruciaux dans le cours de la vie que les répétitions dans un garage d'un médiocre groupe de punk, les premiers rendez-vous galants avec une lycéenne chinoise à la famille conservatrice ou encore la fascination d'un jeune homme, aussi physiquement pubère qu'intellectuellement immature, pour les jeux vidéos et la baston façon kungfu.

Scott vit donc dans un semi sous-sol enneigé d'un quartier pavillonnaire de Toronto, partage une pièce unique et un lit unique avec un colocataire gay pour le moins altruiste, réalise avec sa high school date des combos sur la piste de danse virtuelle d'une salle d'arcade parfaitement addictive. Toute la bobine est truffée de références à l'univers vidéo-ludique, du thème de Universal ré-écrit avec les synthés de Super Mario à la barre d'urine qui clignote dans le coin supérieur droit, sans oublier la jouissance instantanée de ramasser des pièces d'or à la pelle sitôt qu'on a foudroyé un adversaire. Car des adversaires, il y en a : sept précisément, soit le nombre d'ex-petits amis de la superbe et lunatique Ramona Flowers, qui vient de s'installer en ville avec son passé trouble. La petite chinoise - interprétée au demeurant par la championne de taekwondo Ellen Wong, ce qui explique pas mal la fluidité des scènes de combat - n'a plus qu'à bien se tenir : car notre Pilgrim est tombé éperdument amoureux !

En vérité, ce film m'a profondément touché car il rend un très bel hommage à (parait-il Toronto dans laquelle je n'ai certes jamais posé les pieds, mais aussi à) la jeunesse skateuse et  désabusée du Canada anglophone, grandie à l'école du mall, de Starbucks et de Blink182. Des héros ni très beaux ni très futés mais terriblement attachants, pleins d'humour et d'entrain comme pour mieux se protéger du froid qui recouvre toute l'action (de Toronto, en vérité, on ne voit guère que la neige). On y retrouve l'extraordinaire flexibilité géographique, professionnelle mais aussi affective de ce peuple qui, dispersé en petits groupes le long d'un continent voué aux MacJobs, semble avoir mieux que quiconque appris la mobilité ("- She's no longer in town?  - No, she went to Montreal to find her boyfriend, but he had moved back to Vancouver with a girl, so she decided to give it a try and stayed there").

Mon premier mois montréalais fut à ce titre fascinant : immobilisé par l'hiver et la pauvreté, je traînais mes guêtres avec trois Ontariens dans un immense 8 1/2 de Griffintown, peuplé jour après jour de cousins, de voyageurs, d'ivrognes, de chiens, de punks et de musiciens amateurs, tous perpétuellement en mouvement, à la recherche d'un but sans doute, ne serait-ce qu'à très court terme. Chaos complet. Ce que l'on y perd en constructivité, on le regagne en spontanéité, en camaraderie, en don de soi. Les rencontres sont aussi sincères que passagères, les lendemains importent peu, ici c'est bien le soir qui chante. Ô douce bûcheronne des forêts du Saskatchewan, toi qui m'apportas un peu de chaleur par une glaciale nuit d'avril, toi que je savais il y a peu encore en Oregon et où que tu sois demain, si tu lis un jour ces lignes, toi qui ne parles point français, sache que ton histoire, tes yeux, ta naïveté, ta franchise m'ont fasciné et que je garde de toi comme de tes semblables un souvenir ému, légèrement teinté de mépris autant que d'admiration, pour votre façon de vivre, pour votre approche de la liberté incroyable tant elle est ingénue.



Ce que Scott Pilgrim m'a apporté, ou rapporté, c'est donc un heureux petit moment d'innocence, d'inconscience plutôt de sa propre condition, une incursion reposante dans le monde des posts-ados qui ne veulent pas grandir, dans le chaud cocon du geek accro à sa console, dans l'univers magique des étudiants perpétuels.

L'aventure aura voulu que le lendemain midi on m'invite à dîner sur la pelouse de McGill dont c'était la journée de rentrée. Le campus et tout le ghetto alentours fourmillaient de groupes de jeunes excités comme des puces, frais comme des carottes du jardin, légèrement rosées, la touffe de fanes battant dans le grand vent. And that, was totally cool.

mercredi 4 août 2010

Des jambes !

Dans une cité qui ne vit que par et pour le style, l'urbanité, la musique électronique, les jolies filles et les évènements outdoor, quoi de plus logique et bienvenu qu'un Festival Mode et Design Montréal ? Le FMDM a soufflé cette fin d'après-midi sa dixième bougie et c'est tout à fait excitant.

D'abord parce que c'est rare, entendons-nous, d'assister à un défilé de mode. Je me souviens de cette venteuse soirée de novembre ou j'avais dû user de toute mon imagination pour pénétrer (faux stagiaire d'une fausse éditrice) dans un défilé relativement anodin de la Beijing Fashion Week. Cela remonte à 2006. Je venais de voir mon amie (la fausse éditrice), aux jupes habituellement si fraîches, porter un pantalon pour la première fois dans ma vie.

Ainsi lorsque l'opportunité se présente d'assister à plusieurs défilés, gratuitement et en plein air, on ne résiste pas et l'on combat patiemment les averses estivales. À plus forte raison lorsque la scène est placée à hauteur des yeux d'un homme. Barney Stinson - que Dieu veille sur l'âme de sa défunte hétérosexualité - aurait dit quelque chose comme : "A fashion show is the one and only place where you're given a full license to stare at legs and breasts." Supputant par ailleurs que la plupart des hommes qui s'intéressent à la mode le font avant tout pour le joli minois des mannequins et bien peu pour ce qu'elles portent, on ajoutera qu'un défilé est même le seul endroit au monde ou l'on vous saura gré de ne pas juger une femme par son visage. Pourquoi donc s'en priver ?


J'ai donc été coller ma truffe humide au plus près des tréteaux gorgés d'eau après qu'une énième tempête ait balayé le centre-ville, et observé avec attention le ballet des appareils photos. Si la première collection - visiblement un condensé des plus belles pièces de l'édition 2009 - était on ne peut plus décevante, celle du Centre International de Mode de Montréal, en revanche, était de très bonne facture. J'ai ainsi découvert que, non content d'être une plaque tournante du commerce vestimentaire, notre douce agglomération était également un haut lieu de la création ; j'ai retenu, un peu au hasard, les noms de RABE, Samia Oucharef ou encore Coco&Tashi, que je vous laisse le soin de googler (gougueuler ?).

Le FMDM c'est intéressant et rafraîchissant parce que l'espace de quelques jours on voit des hordes de groupies pré-pubères approcher de très près leurs idoles, lesdites idoles habituellement de marbre se laisser aller à quelques sauts de cabri, coucous enthousiastes et baisers dans la foule, les pros de la mode mitrailler comme à l'accoutumée avec un décor de fond pour une fois aérien, et le traditionnel DJ house qui s'ébat avec bonheur au pied des tours de verre du district financier.

(on apercevra derrière au passage la somptueuse tour de la BNP Paribas, qui est l'un des joyaux architecturaux de la ville, du moins le très légitime hérault de la période de construction la plus récente ; j'espère consacrer d'ici peu un article à ces quelques magnifiques tours de Donwtown qui passent par trop inaperçues)

Ce qui est réellement amusant toutefois - ou qui relève du coup de génie de la part des organisateurs - c'est d'avoir entrouvert le backstage au public, le long d'un espace "réservé" ouvert aux quatre vents. On peut ainsi, sitôt le défilé terminé, galoper (qui était ce chanteur qui "galopait, galopait" après les longues jambes des vedettes ? ou alors confonds-je avec une préface de Cavanna à un ouvrage de Doisneau ?) accourir et voir les filles se déshabiller - du poids de leur travail pour le moins. Celle-ci se ressert immédiatement du champagne, celle-là pianote déjà sur son cellulaire, peut-être un rendez-vous repoussé à cause du retard engendré par la pluie. D'autres changent simplement de chaussures, échangent une carte de visite, vont se faire recoiffer. Car de cabine il n'y a point : maquillage et mise en pli se font au vu et au su du badaud, lequel peut même se payer le luxe de fixer droit dans le miroir le regard des tigresses qui le faisaient saliver une minute auparavant.


Voilà donc un évènement pour le moins original, rassembleur et qui a le mérite de totalement démocratiser un milieu qui fait rêver autant par son côté glamour que par les défenses qu'il érige entre le grand public et ses cercles privés. Que l'on se remémore cette sublime diatribe de Meryl Streep dans l'excellent Devil wears Prada. Deux mondes, vous dis-je !

Le FMDM court jusqu'à samedi soir inclus, au coin de Sainte-Catherine et McGill.

lundi 2 août 2010

Parlions-nous de surenchère ?

Un bon mot de Jean Dion sur son blogue.

dimanche 1 août 2010

De l'obscurité jaillira la lumière

Montréal est superbe ! ou pathétique, je l'ignore.

La cité s'affirmait déjà, entre Pervers/Cité et le Kink Festival, comme l'un des haut-lieux, ou plus justement dit des points chauds du circuit fétichiste et sado-masochiste de la planète - après de longs mois à m'interroger sur ce qui définissait le kink, l'étymologie a fini par m'apprendre, un kink désignant un nœud dans un tuyau d'arrosage, que l'appellation par extension regroupait aujourd'hui l'ensemble des "pratiques sexuelles non-normatives" ; je ne veux en aucun cas savoir pourquoi la page Wikipédia correspondant n'est disponible qu'en polonais et en suédois. Défilés de lingerie latex, parade des travestis, soirées "costumées" avec piscine de lubrifiant, projections de films de bondage, ateliers de techniques de guérilla urbaine (?) et parties de Catch the fag (ahahah) sont ainsi au programme des prochaines semaines pour les thuriféraires de l'extrême intimité.

S'est ensuite installé un étonnant GeekFest dont l'ambition déclarée était de rapprocher les fans de Star Trek et les passionnés de programmation Apple dans un relatif anonymat que je ne suis pas malheureux d'avoir évité cette année (l'histoire retiendra qu'au même moment, en ces frais 7 et 8 mars 2010, j'étais moi-même en train de jouer au Scrabble dans un appartement parisien, au plus grand dédain des merveilles architecturales et culturelles qui m'attendaient alentour ; c'est peut-être dans le fond le mois de mars qui est geek par nature). Pour ma défense et pour assurer la transition avec le paragraphe ci-dessus, on notera la superbe main que je possédai.

Ces évènements sont pourtant condamnés, par nature, à rester marginaux - certes moins que le très louable mais totalement anarchique Festival d'expression de la rue  imagé ci-contre, qui convie l'espace d'une fin de semaine les jeunes itinérants du Québec à s'exprimer sous le regard suspicieux de la police et à développer les gestes qui peuvent sauver en toute circonstance, comme cette compétition de pose de préservatifs sur godemiché après s'être fait secouer et pirouetter en tous sens pour mieux simuler un état d'ivresse avancée.

Pourtant, de toute cet excès de folie, de perversion, de monomanie, de schizophrénie et de syndrome de Renfield (moche hein ?), a émergé et s'est consolidé au fil des ans une manifestation cinématographique rare, le Festival Fantasia. Rare car si l'on peut concevoir de tirer un certain amusement de la projection occasionnelle de films de genre, il est plus difficile de conceptualiser l'exercice à grande échelle - 376 films en 21 jours, plus de 100.000 spectateurs, des lignes à couper le souffle autour du Theatre Hall de Concordia, où une populace d'étudiants en rut, majoritairement quoique non exclusivement masculine, boutonneuse et lunettée, se massait le long de deux blocs pour aller voir à la séance du mercredi soir un obscur navet philippin sur le road-trip en scooter de deux braqueurs d'épicerie, ou encore la projection remastérisée d'un chef d'œuvre du gore anglais des années 1970. Films d'horreur, de robots, de science-fiction, de kung-fu, érotiques, humoristiques, westerns ou mangas, coréens et serbes (les deux coups de projecteur du cru 2010) : tout ce qui ne rentre nulle part ailleurs que dans la catégorie Z - ou le classique instantané. Le festival ne s'est-il pas terminé en triomphe par la première nord-américaine de la version longue du Metropolis de Fritz Lang, miraculeusement retrouvée quelque part en Argentine voici deux ans, et présentée pour l'occasion avec une composition originale de Gabriel Thibodeaut et ses musiciens ?

Je n'ai, pour ce qui me concerne, pas assisté à 63 projections comme certain bloggeur local, mais me suis contenté d'un assez attendu ovni de Belgrade et du plus gros budget de l'histoire des films de kung-fu. Commençons par le très très dérangeant A Serbian Film, du probablement très très dérangé Srdjan Spasojevic.

 
Qui eut pu croire que 750 personnes se masseraient pour aller écouter un film de deux heures sur la déchéance de l'industrie du snuff à Belgrade ?  Milos, ancienne star du porno bas de gamme, revient dans la course sur les encouragements mystérieux d'un réalisateur richissime qui prétend pouvoir introduire (hmm) le vrai, le fusionnel, dans le X. Intrigué autant par le personnage que par le chèque faramineux, Milos signe. Processus : beaucoup de whisky, des perfusions de viagra, d'abrutissantes projections forcées à la Orange Mécanique. Résultat : peu à peu le héros sombre dans la folie sanguinaire, frappe, poignarde, décapite tout en sodomisant, viole un nouveau-né - horreur ultime qui trouvera sa justification dans l'intervention du réalisateur rappelant qu'en Serbie, "on vous baise dès la naissance". Les dernières scènes parviennent pourtant au-delà encore dans l'immondice, mettant un doigt gros comme l'avant-bras sur ce qui fait méchamment mal à la jeunesse serbe d'aujourd'hui : si les dix générations précédentes ont vécu dans la guerre, de quel sang, de quelle ruine pouvons-nous nous réjouir à présent ? On retrouve ce même mélange de noirceur et d'humour désespéré que dans Underground. Lorsque le producteur véreux finit par se faire massacrer à son tour par le berserck sexuel qu'il exploite, la salle explose et jubile : enfin ! C'est aussi libérateur que l'étouffant Blind Moutain, aussi bon que le pire de Tarantino, c'est peuplé de belles filles et pourtant lorsque j'en parle à mes voisins, ils me regardent avec de gros yeux effrayés.

La séance suivante fit tout autant salle comble, c'est davantage compréhensible puisqu'il s'agissait de Bodyguards & Assassins, succès monstrueux sur les écrans chinois fin 2009, un nouveau casting céleste offrant quelques scènes de combat d'anthologie et surtout de somptueuses reconstitutions du front de mer hongkongais un siècle avant les gratte-ciels, des flottilles de jonques pourpres voguant, toutes voiles dehors, à l'assaut de l'immense Victoria Peak au pied duquel grouillent les coolies et les marchands de nouilles.

L'ensemble de ces deux semaines semble avoir été un succès majeur, au point que la Gazette a appelé le gouvernement a subventionner massivement la prochaine édition pour en faire le seul et unique festival de cinéma d'ampleur internationale à Montréal. D'accord pour privilégier les niches, mais pas pour jeter tout le reste comme des chiens ! Le FIFA reste incontournable à Montréal, et puis d'abord pourquoi diable aller installer un festival de cinéma en plein mois de juillet quand tout l'hiver il fait si froid et que l'on rêverait d'aller se réchauffer au fond d'une salle obscure ?

Mais comme de l'obscurité doit jaillir la lumière, je conclurai ce long post par une vidéo qui finalement résume assez bien Montréal et fait le pont entre l'ambiance fétichiste et le Metropolis précédemment évoqué (vous comprendrez à la 34e seconde). Avis aux amateurs : édition 2010 du 1er au 6 septembre. Accrochez vos ceintures... de latex !