dimanche 1 août 2010

De l'obscurité jaillira la lumière

Montréal est superbe ! ou pathétique, je l'ignore.

La cité s'affirmait déjà, entre Pervers/Cité et le Kink Festival, comme l'un des haut-lieux, ou plus justement dit des points chauds du circuit fétichiste et sado-masochiste de la planète - après de longs mois à m'interroger sur ce qui définissait le kink, l'étymologie a fini par m'apprendre, un kink désignant un nœud dans un tuyau d'arrosage, que l'appellation par extension regroupait aujourd'hui l'ensemble des "pratiques sexuelles non-normatives" ; je ne veux en aucun cas savoir pourquoi la page Wikipédia correspondant n'est disponible qu'en polonais et en suédois. Défilés de lingerie latex, parade des travestis, soirées "costumées" avec piscine de lubrifiant, projections de films de bondage, ateliers de techniques de guérilla urbaine (?) et parties de Catch the fag (ahahah) sont ainsi au programme des prochaines semaines pour les thuriféraires de l'extrême intimité.

S'est ensuite installé un étonnant GeekFest dont l'ambition déclarée était de rapprocher les fans de Star Trek et les passionnés de programmation Apple dans un relatif anonymat que je ne suis pas malheureux d'avoir évité cette année (l'histoire retiendra qu'au même moment, en ces frais 7 et 8 mars 2010, j'étais moi-même en train de jouer au Scrabble dans un appartement parisien, au plus grand dédain des merveilles architecturales et culturelles qui m'attendaient alentour ; c'est peut-être dans le fond le mois de mars qui est geek par nature). Pour ma défense et pour assurer la transition avec le paragraphe ci-dessus, on notera la superbe main que je possédai.

Ces évènements sont pourtant condamnés, par nature, à rester marginaux - certes moins que le très louable mais totalement anarchique Festival d'expression de la rue  imagé ci-contre, qui convie l'espace d'une fin de semaine les jeunes itinérants du Québec à s'exprimer sous le regard suspicieux de la police et à développer les gestes qui peuvent sauver en toute circonstance, comme cette compétition de pose de préservatifs sur godemiché après s'être fait secouer et pirouetter en tous sens pour mieux simuler un état d'ivresse avancée.

Pourtant, de toute cet excès de folie, de perversion, de monomanie, de schizophrénie et de syndrome de Renfield (moche hein ?), a émergé et s'est consolidé au fil des ans une manifestation cinématographique rare, le Festival Fantasia. Rare car si l'on peut concevoir de tirer un certain amusement de la projection occasionnelle de films de genre, il est plus difficile de conceptualiser l'exercice à grande échelle - 376 films en 21 jours, plus de 100.000 spectateurs, des lignes à couper le souffle autour du Theatre Hall de Concordia, où une populace d'étudiants en rut, majoritairement quoique non exclusivement masculine, boutonneuse et lunettée, se massait le long de deux blocs pour aller voir à la séance du mercredi soir un obscur navet philippin sur le road-trip en scooter de deux braqueurs d'épicerie, ou encore la projection remastérisée d'un chef d'œuvre du gore anglais des années 1970. Films d'horreur, de robots, de science-fiction, de kung-fu, érotiques, humoristiques, westerns ou mangas, coréens et serbes (les deux coups de projecteur du cru 2010) : tout ce qui ne rentre nulle part ailleurs que dans la catégorie Z - ou le classique instantané. Le festival ne s'est-il pas terminé en triomphe par la première nord-américaine de la version longue du Metropolis de Fritz Lang, miraculeusement retrouvée quelque part en Argentine voici deux ans, et présentée pour l'occasion avec une composition originale de Gabriel Thibodeaut et ses musiciens ?

Je n'ai, pour ce qui me concerne, pas assisté à 63 projections comme certain bloggeur local, mais me suis contenté d'un assez attendu ovni de Belgrade et du plus gros budget de l'histoire des films de kung-fu. Commençons par le très très dérangeant A Serbian Film, du probablement très très dérangé Srdjan Spasojevic.

 
Qui eut pu croire que 750 personnes se masseraient pour aller écouter un film de deux heures sur la déchéance de l'industrie du snuff à Belgrade ?  Milos, ancienne star du porno bas de gamme, revient dans la course sur les encouragements mystérieux d'un réalisateur richissime qui prétend pouvoir introduire (hmm) le vrai, le fusionnel, dans le X. Intrigué autant par le personnage que par le chèque faramineux, Milos signe. Processus : beaucoup de whisky, des perfusions de viagra, d'abrutissantes projections forcées à la Orange Mécanique. Résultat : peu à peu le héros sombre dans la folie sanguinaire, frappe, poignarde, décapite tout en sodomisant, viole un nouveau-né - horreur ultime qui trouvera sa justification dans l'intervention du réalisateur rappelant qu'en Serbie, "on vous baise dès la naissance". Les dernières scènes parviennent pourtant au-delà encore dans l'immondice, mettant un doigt gros comme l'avant-bras sur ce qui fait méchamment mal à la jeunesse serbe d'aujourd'hui : si les dix générations précédentes ont vécu dans la guerre, de quel sang, de quelle ruine pouvons-nous nous réjouir à présent ? On retrouve ce même mélange de noirceur et d'humour désespéré que dans Underground. Lorsque le producteur véreux finit par se faire massacrer à son tour par le berserck sexuel qu'il exploite, la salle explose et jubile : enfin ! C'est aussi libérateur que l'étouffant Blind Moutain, aussi bon que le pire de Tarantino, c'est peuplé de belles filles et pourtant lorsque j'en parle à mes voisins, ils me regardent avec de gros yeux effrayés.

La séance suivante fit tout autant salle comble, c'est davantage compréhensible puisqu'il s'agissait de Bodyguards & Assassins, succès monstrueux sur les écrans chinois fin 2009, un nouveau casting céleste offrant quelques scènes de combat d'anthologie et surtout de somptueuses reconstitutions du front de mer hongkongais un siècle avant les gratte-ciels, des flottilles de jonques pourpres voguant, toutes voiles dehors, à l'assaut de l'immense Victoria Peak au pied duquel grouillent les coolies et les marchands de nouilles.

L'ensemble de ces deux semaines semble avoir été un succès majeur, au point que la Gazette a appelé le gouvernement a subventionner massivement la prochaine édition pour en faire le seul et unique festival de cinéma d'ampleur internationale à Montréal. D'accord pour privilégier les niches, mais pas pour jeter tout le reste comme des chiens ! Le FIFA reste incontournable à Montréal, et puis d'abord pourquoi diable aller installer un festival de cinéma en plein mois de juillet quand tout l'hiver il fait si froid et que l'on rêverait d'aller se réchauffer au fond d'une salle obscure ?

Mais comme de l'obscurité doit jaillir la lumière, je conclurai ce long post par une vidéo qui finalement résume assez bien Montréal et fait le pont entre l'ambiance fétichiste et le Metropolis précédemment évoqué (vous comprendrez à la 34e seconde). Avis aux amateurs : édition 2010 du 1er au 6 septembre. Accrochez vos ceintures... de latex !

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