Voilà une question bien stupide que l'on est en droit de se poser.

Je me souviens avoir constaté, à ma grande surprise, combien mon éditeur en chef et deux de mes traducteurs au 北京周报 se montraient sensibles au discours du Nouveau Testament et combien, attentifs à l'histoire de la chrétienté dans leur Empire, ils exorcisaient par leur culture générale l'impossibilité de se convertir à la religion de l'amour dans un monde essentiellement bouddho-taoïste par les relations familiales, dénonciato-léniniste par les relations professionnelles. Cela ne m'étonnait rapidement plus : dans un monde qui depuis cinquante ans était marqué du sceau des luttes internes, des déchirements, d'une crise de confiance généralisée autant dans son voisin que dans son gouvernement et d'une acceptation massive de la stratégie du gain individuel maximal à court-terme, quel succès devait rencontrer un message de paix et d'entraide, de pardon assuré, d'attention portée à son voisin, et surtout la certitude que quelles que soient les vicissitudes de la vie terrestre, un place bien au chaud près d'un Dieu miséricordieux vous attend à l'âge de la retraite, quand même en Chine vos enfants ne souhaitent plus vous héberger.
Si l'on en croit vaguement Max Weber - et je dis vaguement car il s'agit là de souvenirs flous de sociologie et je n'ai jamais lu Weber dans le texte - le protestantisme, en refusant du croyant le simple achat de sa tanière au Paradis par le biais d'actions de grâce, en lui confiant plutôt dès la naissance une place pré-destinée, bonne ou mauvaise, contraint ce dernier à s'assurer dès son vivant, pour éteindre cette inquiétude immense qui le dévore, du choix qu'a fait Dieu pour son avenir, par exemple en se lançant massivement dans les affaires pour s'assurer, en cas de succès, de la preuve de sa bénédiction. Cela aurait constitué l'un des principaux moteurs de la révolution libérale initiée par le monde anglo-saxon vers la fin du 18e siècle. Inversement, on aurait pu soupçonner que le Chinois, si habile dans le commerce et si soucieux de son futur, allait embrasser à pleines dents le protestantisme. Et de fait, selon différentes études il y aurait entre 40 et 54 millions de Chrétiens en Chine, soit plus du double de la population musulmane, pourtant bien plus historiquement ancrée - le Gansu, -visible -Xi An - et pourchassée - le Xinjiang. Une grande majorité serait de fait protestante, ce qui peut être aussi lié à la difficulté de s'affirmer ouvertement catholique dans un pays qui, en 2011 encore, n'envoie pas d'émissaire au Vatican et fait choisir sa plus haute autorité par le Parti plutôt que par le Saint-Siège.


***
J'ai pu observer, depuis mon arrivée en terres canadiennes, l'étonnante - ou l'est-elle bien ? - assiduité des immigrants chinois dans des églises auxquelles ils ont enfin le droit de s'attacher, ouvertement, sans crainte de poursuites, des pasteurs jeunes et guitaristes qui leur transmettent un message d'espoir qui peut-être vient renforcer encore la sensation palpable que des horizons nouveaux s'offrent à eux dans notre Occident libre.
Ainsi, bien malin lorsque le 24 décembre sur le coup de cinq heures, alors que j'attends une dizaine de personnes à la maison, je me préoccupe enfin de devoir acheter huitres et bulots, je file à Chinatown pour dénicher quelques fruits de mer à des prix imbattables. Mets-en ! Le D&G de Saint-Laurent est achalandé comme jamais, j'y trouve plus de Chinois que je n'en ai vus réunis en un seul endroit à Shanghai, on y crie et on y pousse comme s'il se préparait quelque émeute ou s'il restait deux jours avant Chun Jie dans les sous-sols du Tianyi. Les Chinois de Montréal fêtent massivement Noël ! haro sur les produits frais, le poisson, les sucreries. A la marée, on m'assure que leurs bigorneaux se mangent sautés, pas question de les attaquer crus. Je m'arrache des poignées de cheveux et file à La Mer sur René-Lévesque, où je déniche quelques caisses d'huitres verdies et renfermées. Une heure plus tard je prends place pour le prêche de Noël sur le banc d'une petite église de Sainte-Catherine que je brise malencontreusement, troublant le silence recueilli ; tous les visages se tournent vers moi : la moitié sont jaunis et bridés.

Aya !
Reclus dans ma cahute, un verre de Kaoliang à la main, j'ai assouvi mon manque viscéral en visionnant encore et encore les images tirées en 2009 par le génial Dan Chung sur la vieille place de Gulou, là où mon coeur a sagement battu pendant près de quatre ans. Bienvenue au plus profond de la culture populaire pékinoise. Et bonne année du lapin !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire