jeudi 3 février 2011

Le Chinois est-il génétiquement chrétien ?

Voilà une question bien stupide que l'on est en droit de se poser. 

Je me souviens avoir arpenté les églises partiellement occultes - ou plutôt partiellement tolérées tant les choeurs messiaques qui en émanaient était sonores et ostensibles - des quartiers reconstruits de Tianjin, à deux pas de la waltdisneyesque Old Culture Street, sous le porche desquels on distribue des pamphlets à la gloire du Prophète le plus acceptable des trois (oh quel malheur que ce minaret effondré, une dizaine de blocs plus à l'ouest, s'élevant tant bien que mal au milieu du tas de ruine qui autrefois fut le quartier musulman de cette douce cité portuaire ! oh quel malheur que les habitations délabrées qui s'étendent à perte de vue dans les faubourgs de la gare de Kaifeng, Henan, capitale pluri-séculaire des Juifs de Chine aujourd'hui vouée à l'abandon !).

Je me souviens avoir constaté, à ma grande surprise, combien mon éditeur en chef et deux de mes traducteurs au 北京周报 se montraient sensibles au discours du Nouveau Testament et combien, attentifs à l'histoire de la chrétienté dans leur Empire, ils exorcisaient par leur culture générale l'impossibilité de se convertir à la religion de l'amour dans un monde essentiellement bouddho-taoïste par les relations familiales, dénonciato-léniniste par les relations professionnelles. Cela ne m'étonnait rapidement plus : dans un monde qui depuis cinquante ans était marqué du sceau des luttes internes, des déchirements, d'une crise de confiance généralisée autant dans son voisin que dans son gouvernement et d'une acceptation massive de la stratégie du gain individuel maximal à court-terme, quel succès devait rencontrer un message de paix et d'entraide, de pardon assuré, d'attention portée à son voisin, et surtout la certitude que quelles que soient les vicissitudes de la vie terrestre, un place bien au chaud près d'un Dieu miséricordieux vous attend à l'âge de la retraite, quand même en Chine vos enfants ne souhaitent plus vous héberger.

Si l'on en croit vaguement Max Weber - et je dis vaguement car il s'agit là de souvenirs flous de sociologie et je n'ai jamais lu Weber dans le texte - le protestantisme, en refusant du croyant le simple achat de sa tanière au Paradis par le biais d'actions de grâce, en lui confiant  plutôt dès la naissance une place pré-destinée, bonne ou mauvaise, contraint ce dernier à s'assurer dès son vivant, pour éteindre cette inquiétude immense qui le dévore, du choix qu'a fait Dieu pour son avenir, par exemple en se lançant massivement dans les affaires pour s'assurer, en cas de succès, de la preuve de sa bénédiction. Cela aurait constitué l'un des principaux moteurs de la révolution libérale initiée par le monde anglo-saxon vers la fin du 18e siècle. Inversement, on aurait pu soupçonner que le Chinois, si habile dans le commerce et si soucieux de son futur, allait embrasser à pleines dents le protestantisme. Et de fait, selon différentes études il y aurait entre 40 et 54 millions de Chrétiens en Chine, soit plus du double de la population musulmane, pourtant bien plus historiquement ancrée - le Gansu, -visible -Xi An - et pourchassée - le Xinjiang. Une grande majorité serait de fait protestante, ce qui peut être aussi lié à la difficulté de s'affirmer ouvertement catholique dans un pays qui, en 2011 encore, n'envoie pas d'émissaire au Vatican et fait choisir sa plus haute autorité par le Parti plutôt que par le Saint-Siège.

Je me souviens néanmoins de la superbe des quelques églises officielles de Pékin, à commencer par la richement ornée et pieusement fréquentée Cathédrale de Wangfujing, près de l'ancien quartier des concessions, trônant aujourd'hui majestueuse au milieu de temples plus modernes, sur l'artère la plus commerçante de la capitale, entre enseignes et néons à la gloire des grandes marques internationales (Kobe Bryant, sur la façade du Nike Store d'en face, est aussi grand que les clochers, ou que Dieu). 

Je me souviens de l'absence d'élégance mais du caractère fort touchant des jeunes filles qui, par dizaines, par centaines, se présentent tous les dimanches après-midi de beau temps sur toutes les plages de toutes les cités cotières du pays, de Beidaihe à Xiamen en passant par Qingdao, pour quelques poses photo-non-géniques en robe blanche qui s'enfuit dans le vent, se suivant à la queue-leu-leu sur un rocher particulièrement éminent, sur une jetée sauvage abandonnée aux crabes et aux sacs poubelles. Peu de foi chrétienne dans cette déambulation collective, fruit d'une passion ancestrale pour toute l'iconographie classique occidentale (ah, Napoléon, ah le cognac, ah le doux son d'un violon et les noeuds papillon...).

***

J'ai pu observer, depuis mon arrivée en terres canadiennes, l'étonnante - ou l'est-elle bien ? - assiduité des immigrants chinois dans des églises auxquelles ils ont enfin le droit de s'attacher, ouvertement, sans crainte de poursuites, des pasteurs jeunes et guitaristes qui leur transmettent un message d'espoir qui peut-être vient renforcer encore la sensation palpable que des horizons nouveaux s'offrent à eux dans notre Occident libre.

Ainsi, bien malin lorsque le 24 décembre sur le coup de cinq heures, alors que j'attends une dizaine de personnes à la maison, je me préoccupe enfin de devoir acheter huitres et bulots, je file à Chinatown pour dénicher quelques fruits de mer à des prix imbattables. Mets-en ! Le D&G de Saint-Laurent est achalandé comme jamais, j'y trouve plus de Chinois que je n'en ai vus réunis en un seul endroit à Shanghai, on y crie et on y pousse comme s'il se préparait quelque émeute ou s'il restait deux jours avant Chun Jie dans les sous-sols du Tianyi. Les Chinois de Montréal fêtent massivement Noël ! haro sur les produits frais, le poisson, les sucreries. A la marée, on m'assure que leurs bigorneaux se mangent sautés, pas question de les attaquer crus. Je m'arrache des poignées de cheveux et file à La Mer sur René-Lévesque, où je déniche quelques caisses d'huitres verdies et renfermées. Une heure plus tard je prends place pour le prêche de Noël sur le banc d'une petite église de Sainte-Catherine que je brise malencontreusement, troublant le silence recueilli ; tous les visages se tournent vers moi : la moitié sont jaunis et bridés.

Tout cela pour quoi ? Pour exprimer mon étonnement à constater que les différentes communautés chinoises de la ville se fichent comme de l'an quarante du Festival du Printemps, qui vient de s'écouler dans une indifférence totale, sous une tempête effarante, sans le moindre pétard, sans le moindre repas, sans la moindre frénésie au D&G dimanche ni dans aucune boutique d'enveloppes rouges, sans aucun caractère 福 en papier découpé ni poisson doré à suspendre à la porte. La fête la plus importante depuis des millénaires, la plus massivement célébrée au monde, le tintamarre le plus assourdissant de la création, l'ingurgitation la plus spectaculaire de raviolis (une dizaine de milliards probablement chaque réveillon sur la planète), passée sous silence un mois après une Nativité plus sinisée que jamais ?

Aya !

Reclus dans ma cahute, un verre de Kaoliang à la main, j'ai assouvi mon manque viscéral en visionnant encore et encore les images tirées en 2009 par le génial Dan Chung sur la vieille place de Gulou, là où mon coeur a sagement battu pendant près de quatre ans. Bienvenue au plus profond de la culture populaire pékinoise. Et bonne année du lapin !


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