Ca y est, ils sont revenus ! Leur cri si particulier, mêlant une joie de vivre inimitable à l’ironie voire la perfidie la plus sombre, le hurlement de liberté et de grands espaces qu’ils balancent à tire-larigot en écumant les airs, s’attaquant aux pigeons, aux harengs, aux passants, a résonné à mon oreille vendredi matin dernier. Je ne l’avais plus entendu depuis la mi-novembre au moins, et ne m’en étais pas même rendu compte. Pourtant, comme lorsqu’un frigo s’éteint et que, magiquement, le tympan entend – dans le silence – qu’il fut un temps un bruit, mon cœur a bondi dans sa cagette : le cri m’avait manqué, et je sus instantanément qu’il marquait le retour très prochain à une époque heureuse, celle des promenades, du vélo, des canes de Belle Gueule sur le Vieux Port. Car si l’hirondelle, bien entendu, ne fait pas le printemps, tant difficilement déjà elle fait l’été, le goéland, lui, assurément en atteste : nous sortons de l’hiver et le grand vide qui s’étend au-dessus de Montréal est de nouveau vivable.
Bien entendu, la lune de miel n’aura duré qu’un temps : dès le lundi suivant, je tentais mon dîner sur l’esplanade immensément vivifiante de la Place-des-Arts, où les étranges cristaux verts de la semaine précédente avaient intégralement fondu ; serein sur un banc de bois encore frais, légèrement recroquevillé pour mieux me protéger des derniers résidus du vent de nordet, je déglutissais un yuxiang qiezi maison aux chauds parfums du Sichuan lorsque l’un particulièrement gras de ces êtres pervers vint se poser à un mètre pour entamer, à distance raisonnable de mes taloches, son petit manège de mouette : regards de biais, belliqueux et malsains ; petits sauts de côté, lâches et gauches s’il en faut ; et des ‘moi ! moi ! moi !’ à vous glacer le sang de dégoût.
Je hais les goélands. Ce soir en quittant le bureau j’en voyais encore trois qui s’arrachaient quelque miche de pain dur sur un passage piéton, indifférents aux coups de klaxon fort patients d’un automobiliste qui tentait de passer. La rue Sainte-Catherine toute entière s’est comme arrêtée un instant pour observer la ronde, sourire en coin.
Je hais les goélands et tous leurs congénères d'oiseaux marins parce qu’ils sont comme moi : profondément asociaux, médisants et instables. Je les jalouse secrètement : ils font instantanément bondir dans mon imaginaire des images de voyage, d’aventures exaltantes. Ils règnent en maître dans la littérature de découverte : de Dumas à Stevenson, en passant bien entendu par Baudelaire dont l’Albatros reste le seul poème qu’adulte j’ai pris la peine d’apprendre et de réciter devant des gens qui me parlaient d’entreprise, de chantier nucléaire.
[...] Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui brave la tempête et se rit de l’archet ;
Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de Géant l’empêchent de marcher.
J’aime si fort les goélands qu’à l’été 2010 encore je décrétais ne vouloir résider pour le restant de ma vie que dans des ports, de vrais ports marins j’entends, des La Rochelle ou des Dunkerque, cités aux mille mats où résonne l’appel du grand large et le chant des marins ivres. C’est probablement grâce à leurs MOI stridents que j’ai aimé Montréal au départ ; c’est probablement en raison de leur absence que j’y ai étouffé dernièrement. Paradoxalement je rêve désormais, de nouveau, à Hongkong : le Port par excellence, perle dorée déposée sur deux mers – à la cime de ses gratte-ciels sans cime, on voit se refléter le vol majestueux des… aigles descendus des collines et qui chassent ailleurs, à Macao, à Foshan, les mouettes rieuses et pathétiques.
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