mardi 7 février 2012

Un programme évident

En ces temps de pré-campagne électorale dans une France qui tend à se chercher - et de campagne plus ou moins permanente sur une scène politique québécoise qui n'a pas l'air de beaucoup plus se trouver -, il m'a fallu une toute petite heure pour comprendre quel était le seul et unique programme politique valable pour sauver nos sociétés occidentales, et ce grâce à la lecture de l'admirable et profondément déprimant second tome de La vie secrète des jeunes, de Riad Sattouf.

Une centaine de planches vives, drôles, affligeantes, d'instantanés de la jeunesse française saisis sur le trottoir, dans les cafés, dans la ligne 9 du métro entre Répu et Nation. Et au fil des pages un programme politique qui émerge, du bon sens et de la marche en avant :
  • loi d'interdiction totale et à effet immédiat de l'usage du verlan ;
  • suppression de tous les services de police et de CRS ;
  • transfert de l'intégralité des économies budgétaires vers l'Éducation, avec une légère manne pour la culture, ce qui devrait déjà suffire à quadrupler son budget.
Ensuite sacrer son camp ailleurs, par exemple au Québec, serrer bien fort les fesses et attendre que ça passe, mettons le temps d'un quinquennat. Dans le fond, je serais un excellent Président pour cette République en fort déclin : abandonner autrui les deux pieds dans la marde, enfoncer sa tête sous le sable, la politique de l'autruche comme fondement idéologique.

Au-delà de ces inepties, et en gardant certes à l'esprit qu'il s'agit du propos exact de la bande dessinée, que Riad Sattouf a délibérément choisi d'exposer les absurdités et les horreurs qu'il entend, voit, subit chaque jour, essentiellement dans le nord et l'est de Paris où pourtant j'ai plus que traîné mes guêtres et que j'ai aimés comme rien d'autre, en gardant tout cela en tête, La vie secrète des jeunes n'en reste pas moins effarante. Où donc en est rendue la France après trois ans seulement de sarkozysme (l'ouvrage est sorti en 2010) ? Le cocktail délitement des principales balises éducatives / appauvrissement du niveau linguistique / culture de la peur et dopage des services de sécurité à l'hormone de l'agressivité et du tutoiement systématique ("Ho ! tu t'appuies pas sur la voiture ! - Mais c'est la mienne, je fais c'que je veux, pourquoi vous me tutoyez ? - Ok, fais voir tes papiers.") / tassement par le bas de la qualité des médias / absence de curiosité vers le monde et vers les autres semble faire des ravages dans la part la plus désoeuvrée de la jeunesse du pays. Conséquences : un irrespect assez général, un désengagement des parents comme des profs, une violence verbale et parfois physique qui s'impose comme le moteur principal de toute interaction sociale (attaqué à la scie en plein métro, vraiment ?), le tout dans un langage décidément appauvri qui semble ne servir que deux missions : écorcher les oreilles et déblatérer des inepties incroyables.


L'honneur et la solidarité sont régulièrement invoqués, ce qui fait certes deux valeurs en théorie positives, qui semblent surtout cristalliser les angoisses et rancoeurs de minorités dites "visibles" (lire, colorées) trop longtemps discriminées par la majorité blanche et christo-athée ("Nous on est des reubeu, vous vous êtes dé renois voilà, franchement on est dé muslims, cé ça qui fé qu'on é dé frères et voilà", sur quoi le "renoi" décroche son téléphone et débat des échecs footballistiques d'un joueur de l'OL après avoir tenté un argument étrange sur le "respé des tradissions"). L'un dans l'autre, les gens ne s'écoutent pas, ne s'aident pas ("J'te parie 10 euros mon frère que j'donne un coup dans l'clodo là-bas"), ne comprennent pas les enjeux ("Y'a pas de travail pour les musulmans, ici ils nous détèss. - Hein ? Qui c'est qui vous déteste ? - Les céfrans. - Y vous détestent ? - Y nou détess. - De quoi ? Mais nan ! - Mais y verront. - Tain mais c'est trop trop marrant mais Farid mais haha") et cela n'a absolument rien à voir, contrairement aux théories de conflit des cultures que l'UMP tente de nous faire gober, avec une arabisation de l'Europe qui de toutes façons est en marche au nom de l'histoire de l'humanité faite de migrations - les Francs n'étaient-ils pas de robustes barbares allemands il y a encore quinze siècles ? Les blancs, les artistes, les pédés, les bourgeois du 5e en prennent aussi pour leur grade et ne font pas plus montre de respect, de tolérance, d'intelligence dans les rapports humains.

Ce que j'avais apprécié avec Obama, tout en suivant de très loin la politique états-unienne, c'était l'espoir, la fraîcheur que son discours incarnait : même si dans les actes il a déçu, sans doute plus parce que en politique on a toujours les mains liées par un budget, une administration, un lobbying qui pèsent, son propos aux jours de l'élection apportait le message que la première puissance au monde désormais revenait dans le droit chemin de l'écoute, de la coopération, du partage, après huit longues années de "Eux contre nous" qui a culminé dans une quasi-réalisation de la prophétie de Hutington. Je me souviens avoir difficilement contenu mes larmes dans un restaurant américain de Beijing, au petit matin du 5 novembre 2008, alors qu'ils étaient encore le soir de la veille à Chicago, tandis que le president elected prononçait son discours de victoire truffé de désormais classiques "Yes, we can!". Pleurer pour un discours ? Non. J'étais profondément ému par les larmes des autres, dans ce restaurant bondé où Américains, Chinois, Européens, toute la jeunesse internationale de Beijing, coeur névralgique du nouveau monde, l'un des deux pôles magnétiques du G2 qui émerge, s'était réunie pour écouter ce message de paix et d'espoir et s'en effondrait de bonheur, dans les bras les uns des autres. L'image de tout un pays venait de se transformer et le monde ne pouvait plus se diriger que vers quelque chose de plus beau, de plus harmonieux, ce qui, c'est ironique, déplut fortement à Hu Jintao.


Ainsi le voilà, le seul et unique programme politique qui devrait être autorisé en France : celui qui prêchera l'avènement d'une société neuve, jeune, forte de ses différences, riche de ses complémentarités, celui qui prétendra vouloir bannir l'intolérance et punir fort l'irrespect, un candidat qui remettra sur les rails, fermement mais avec passion, de vraies valeurs comme l'éducation, la politesse, le sourire, la charité, le goût de lire autre chose que des 20 Minutes truffé de fautes d'orthographe et d'inexactitudes, celui qui offrira à son peuple, plutôt que de grandes utopies blanches et protectrices, un peu de liberté quotidienne pour chacun, un peu d'espoir dans l'avenir et surtout beaucoup d'amour. En un mot : du bon sens, car ce qui fait de nous des hommes, c'est le regroupement collectif, et sans amour le collectif implose. Finalement, le Parti du Plaisir, c'est pas si bête que ça.


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