lundi 7 juin 2010

Douce vie des trappeurs

J'ai récemment terminé mon tout premier roman québécois (oui, je sais. J'avais une longue liste d'ouvrages à terminer avant de réellement me plonger dans le bouillonnement de la littérature locale). Et ce fut une agréable surprise.


Originaire de l'Abitibi et longtemps résident de la Côte-Nord, Jean-Yves Soucy, avant de devenir comptable dans les années 1970, a passé quelques années en temps que travailleur forestier. C'est sans doute à cette époque qu'il a forgé cet amour pour les grands espaces du nord du Québec qui donne tant de force à son premier ouvrage, Un Dieu Chasseur (1976), qui lui valut plusieurs prix. On trouve un peu du Giono des débuts, une sorte de panthéisme sec et violent similaire à celui de la trilogie de Pan, dans les personnages solitaires de Soucy : ils sont rêches, dur au mal, inimaginablement proches de la nature, sauvages – au sens premier du terme : « qui vit dans la forêt ». Un conte provençal ? en plus sauvage toute de même ; après tout, on parle du Canada. Ours et carcajous. Huskies peinant à tirer le traineau sur la trail enneigée, par quarante degrés en dessous de zéro.

Le Dieu Chasseur dont il est question, c'est Mathieu. Dix mois par ans, il vit seul dans sa cabane, à deux jours de marche du Mont Laurier, hameau misérable où il célèbre les fêtes chrétiennes par son dû annuel de bière fraiche et de prostituées. Le reste du temps, il chasse ; il observe la nature, il communie avec ses chiens. Il suit, comme truite le courant, le fil implacable des saisons. La plume de Soucy est riche : de noms d'oiseaux, de noms de fleurs. Elle est habile à décrire les petits signes imperceptibles au citadin, ceux qui décrivent les changements du temps, la mue nouvelle du monde libre.

D'autres personnages interviennent : son voisin l'Indien, dont on ignore le nom ; Emile le frère ; Marguerite, la femme. Des ennemis aussi : la Fouine par exemple, ou cet orignal blessé qui ne veut pas mourir. C'est un livre qui traite des relations de l'homme à la nature, mais pas seulement. On y trouve les rapports de l'homme à l'homme, de l'homme à la femme ; de l'homme de société au coureur des bois ; de l'homme à Dieu et à sa conscience de sa place dans le monde. C'est un livre fort, intransigeant, merveilleusement documenté, qui vous fait pousser des envies d'avoir grandi fermier conservateur, avec un savoir-faire manuel, ancestral. Et des envies de partir aussi, loin dans le grand nord.

On peut en lire les premières pages ici.

Après l'avoir reposé, j'ai ainsi filé, armé de ma carte Opus et d'une sacrée dose de patience, vers l'ancien village de Lachine, tout au bout du canal, pour rendre une petite visite au chaleureux musée « du Commerce de la fourrure à Lachine ». J'y ai caressé du castor, du raton-laveur, de l'ours même. J'y ai soulevé la lourde besace que trimballaient les coureurs. J'ai découvert ce qu'était le pemmican, la chair de bison séchée. Et j'ai suivi du doigt, interloqué, les routes interminables ouvertes par les coureurs de la Compagnie de la Baie d'Hudson dès le 18e siècle, qui filaient à travers monts et crevasses jusqu'aux derniers glaciers du haut Saskatchewan.

La visite est tout à fait ludique ; couplée à une promenade au bord du lac Saint-Louis, elle plaira beaucoup aux enfants mais aussi aux adultes, qui se remémoreront que la fortune de Montréal fut avant tout bâtie sur la fourrure, et que la production locale, aujourd'hui encore, en représente 85% du marché planétaire. On redécouvre aussi, au cas où on l'aurait oublié, que raquettes et canoës sont de prodigieuses trouvailles autochtones. Et l'on se dit que, décidément, les espaces gigantesques qui s'ouvrent à notre porte sont bien l'une des raisons pour lesquelles le Canada a toujours fait fantasmer, jusqu'au plus désintéressé des chercheurs d'or.

Bien entendu, j'ai beaucoup ri lorsque, quelques jours plus tard, une amie a sorti de sa besace magique une large part de fromage... Coureur des Bois !



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