Enfin installé depuis peu dans un chez moi qui, je l'espère, le restera plus longtemps que l'ensemble réuni de mes dix dernières habitations plus précaires les unes que les autres - des tentes à trou pyrénéennes à ma boîte en carton pékinoise à mon squat anarchique de Griffintown - et détenteur par ailleurs d'un précieux sésame en l'espèce du statut de résident permanent, j'ai décidé de m'intéresser au plus près à la vie publique qui fait mon environnement, et me suis porté ce soir volontaire pour une expérience des plus amusantes : le Conseil d'arrondissement de Ville-Marie. Autant dire qu'on parle de sport.
Myopie aidant, il m'aura fallu descendre discrètement tout l'amphithéâtre de la Maison de la Culture de Frontenac, au public pas si épars que je ne m'y attendais - une centaine de participants peut-être - pour identifier la source de ce ronflement vocal pour le moins soporifique en la personne de Gérald Tremblay lui-même (voir sa superbe page Facebook). Le Monsieur le Maire du tout Montréal, l'homme qui cumule les cumuls, la tête pensante aux 42 mandats simultanés, le zombie qui se lève à quatre heures et parvient malgré tout à neuroner activement quoique pas toujours très pertinemment, daigne se déplacer jusque chez les "citoyens de second rang" - dixit l'un d'entre eux visiblement humilié - de l'est abandonné du Quartier des Spectacles pour y écouter leurs malheurs ? Ah, c'est une obligation morale tout autant qu'attachée au rang. Certes. Et cela se voit bien : le notable s'ennuie ferme.
Il faut dire que la phase des questions, qui ouvre les débats et se prolonge pour le moins jusqu'à mon départ, cent-vingt minutes plus profond dans la nuit, n'a rien de bien exaltante : on vient y exposer ses petits bobos plates. Horaires de livraison de la bière, déplacement d'un feu rouge ou d'un Stop mal indiqué, soumission d'un projet de piste cyclable complémentaire sur Fullum ; quelques demandes plus osées – relocaliser tout un parc pour améliorer la qualité de vie des huit familles résidentes d'un ancien entrepôt reconverti en lofts, lancer une grande opération policière contre les voyous qui vendent de la drogue sur le trottoir de la rue Logan – et d'autres pour le moins cocasses : composer un nouveau timbre de sonnerie pour les interventions mineures des pompiers, lesquelles pour l'heure sont trop similaires aux alertes incendies et déresponsabilisent par conséquent un groupe de retraités probablement déjà touchés par la maladie d'Alzheimer ; savoir si sur les troncs maigrichons du Jardin communautaire Saint-Laurent il faudra planter des tomates ou du thym. C'est très amusant à voir de l'extérieur : on croirait dur comme fer l'audience aux sollicitations déposées à la Cour dans la Chine Impériale – et post-communiste aussi, au demeurant : si ce n'est que les policiers en faction à l'entrée sont moins là pour s'assurer le silence des plaignants que par respect solennel du code préfectoral. Une vraie Cour des miracles, donc , mais hé ! comme le dit si bien la petite dame qui harangue le prélat, jurant que ce dernier lui a posé le 2 mai dernier la main sur la cuisse, admettant pour mieux convaincre que cela lui arrive désormais bien trop peu pour qu'elle n'en fut pas émue : “C'est ennuyeux mais ce sont nos problèmes de proximité”.
Pour avoir moi-même pris part, au cours de mes années d'Ambassade, avec un statut pourtant équivalent au néant dans l'organigramme tentaculaire de la fonction publique, à des conversations à huis clos impliquant autrement plus de fortes sommes, d'enjeux stratégiques et de soucis de prestige, je ne me fais aucune illusion sur la tension ou le taux de testostérone du sieur Tremblay ces soirs de Conseil : tous les deux proches de zéro, si ce n'est moins. La réponse est souvent toute faite : vérification ou étude sera commandée, d'ailleurs le Directeur de l'arrondissement et le Capitaine de police sont assis au premier rang et acquiescent à tours de bras. Ces palabres futiles pour de si illustres personnages valent néanmoins leur pesant de pinotes pour la petite gent du quartier ; à se voir exposer trop régulièrement les mêmes griefs, les hautes sphères s'agacent, perdent patience, enclenchent la pyramide du hurlement et des décisions finissent par tomber. Ainsi ce soir, il fut décidé de revenir sur la décision estivale et idiote de supprimer le double sens sur la rue Champlain. C'est ma grimpette quotidienne en vélo qui va de nouveau en pâtir, moi qui me délectais depuis septembre du doublement de mon espace vital.
Hormis les quelques chialeux et plaies habituelles, ces réunions s'avèrent somme toute aussi bon enfant qu'indispensables à la marche de la plus essentielle des démocraties : celle de proximité. Et l'on touche ici à quelque chose de rare : tout le monde ne peut pas prétendre être aussi proche de son peuple.
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