Ténacité excessive frisant la névrose, confiance absurde en l'avenir et en soi-même, sex-appeal démesuré quelque soit l'apparat. Sens du rythme et joie de vivre féroce. Tout est dans le teaser : chaque visionnage - quarante-cinq secondes en boucle - m'arrache une micro-larme ("prends un micro-mouchoir", m'a-t-on un jour merveilleusement répondu), du bonheur et de la fierté de voir comme la race humaine est dénuée de bon sens, comment mes semblables sont, pas tous, certains, de vrais fous visionnaires, capables de se lancer des défis impossibles, des projets de conquête délibérément marqués du sceau de l'inconscience, pour le simple plaisir d'abattre des montagnes qui ne demandaient rien, qui ne gênaient même pas. Pour le plaisir de partager, de frissonner, de donner du bon au voisin, du chaud et du serein.
Philippe Petit a été l'un de ces grands rêveurs. En fallait-il une sacrée paire de... bras pour le moins, pour tenir bien droit son balancier lorsque, funambule, on se jette sans filet sur un câble illégal tiré entre les deux tours de feu World Trade Center, à 415 mètres de hauteur ! "It's impossible, that's for sure; so let's start working!", dit-il les yeux pleins de flammes dans le superbe film que lui a consacré James Marsh (Oscar 2009 du Meilleur documentaire, dont on écoutera la bande-annonce ici). Petit touche ici à l'essence de ce qui me fascine : non pas tant de générer des idées folles, mais de se mettre en branle à leur suite, de tirer dans son sillage toute une ruche d'autres inconscients, de faire tellement vivre son projet mort qu'il finit par vivre toutefois, en dépit de toutes les évidences.
Nicolas Cournoyer est de cette race, lui qui a lancé voici quatre ans le concept suivant, si simple que personne avant lui n'a osé y penser : il fait si froid en hiver, les gens ne sortent plus ; organisons un party géant en extérieur, si possible la semaine la plus terrible de janvier ! Avec un peu de chance, ce sera comme les pingouins - en s'agglutinant les uns aux autres, on se réchauffera. Démentiel et génial. L'IglooFest était né (vivre la plongée infernale), et il n'est pas prêt de fondre. On touche au surnaturel. Pas d'un point de vue pratique, certes. Après tout c'est juste un gros festival, une grosse scène, du gros son. Les files d'attente sont mal gérées, il fait un froid glacial (le mercure affichait -30 samedi dernier, tu parles d'un dépucelage !) et il faut vingt minutes pour attraper un shot de Jagermeister. Je n'ai point vue la couleur d'un caribou tant le pack qui se massait devant le bar (de glace) était intense.
Mais lorsque après quelque oubli momentané de soi-même, les yeux perdus dans les animations déjantées qui entourent toute la structure de métal, les pieds chauffés à bloc dans deux paires de bas en laine à s'agiter de haut en bas, on émerge un instant et l'on remet en perspective le milieu dans lequel on évolue - force est de reconnaître que, fous tous aussi, on a bêlement suivi, moutons tondus et frigorifiés, et l'on danse et l'on rit, plus stupides encore que les brebis de F'Murr, au beau milieu de la nuit la plus froide de l'hiver. Cheptel maudit, tonnent peut-être les Dieux, mais personne ne les écoute plus tant le beat est convaincant, tant l'abord des braseros est doux.
Je rêve désormais d'apporter à mon tour une telle folie dans les grandes plaines glacées du Nord-Est de la Chine, là où l'hiver, n'en déplaise aux Canadiens si fiers de la rudesse de leurs terres, est autrement plus douloureux, là où chaque année les tonnes et les tonnes de glace charriées par la SongHua sont draguées, repaquetées, cisaillées, polies puis finalement truffées d'ampoules multicolores à l'occasion du formidable Ice Lantern Festival de Harbin. Un festival de musique électronique en extérieur par moins 40, dans un pays où les autorités plus que tout ont peur de la jeunesse et des rassemblements ? C'est impossible, évidemment ; commençons donc à travailler !