Bonne année !
Premier article de ce frisquet mois de janvier. Parmi mes résolutions pour 2011, ma foi fortement entremêlées, on pouvait compter : faire l’acquisition d’un nouvel ordinateur portable pour remplacer l’espèce de mule qui m’a lâché par traîtrise deux fois depuis Noël (paix à son âme, la pauvre bête m’aura rendu bien des services) ; remettre à flots ce blogue qui tend à sérieusement battre de l'aile ; et pour cela me remettre à fréquenter un tant soit peu la scène culturelle montréalaise après l’avoir boycottée sous prétexte de précarité et de chômage. N’oublions pas qu’il existe une offre gratuite presque aussi massive et davantage éclectique que la programmation du Festival de Jazz : j’ai donc fait la tournée des popotes (lire : Maisons de la culture), subtilisé le programme des activités de la BAN-Q, découpé, recoupé, étudié, me voilà fin prêt à en découdre de nouveau. Et puis, cela fait désormais plus de huit mois que je vis à deux pas de la formidable MC Frontenac et je n’y avais encore jamais posé les pieds ! [Le lecteur assidu du présent site objectera que j’ai assis mon popotin dans ses travées à l’occasion de la venue de Monsieur le Maire – appréciable épisode, qui n’avait certes d’artistique que le flou de son déroulé.] Point de culture encore, mais c’est chose faite désormais : j’ai ce soir été écouté le jazz enjoué et pour le moins cuivré des Boppers.
Eh bien force est de constater : je n’aime définitivement pas le jazz. J’y ai cru, un temps, plusieurs temps, contemplant avec envie le portrait fabuleux de Dexter Gordon qui trônait, lorsque j’étais ado, chez mes parents, affiche que je croyais unique avant de constater que, comme celle de Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s ou le Will to Live de Ben Harper, tout foyer un peu cool la possède. Il y a, je l’admets sans mal, une histoire très riche, une musicalité exceptionnelle, dans le jazz – il a, après tout, traversé les âges, les générations, se renouvelant sans se trahir et s’épanouit plus que jamais dans un monde multipolarisé de soft power dans lequel chaque pays, chaque ville, chaque patelin exige son festival. Pourtant il ne me touche pas, ou plus. Les morceaux, à mon oreille inattentive et barbare, sont par trop similaires. Les mêmes thèmes reviennent en permanence, les attitudes aussi – sur scène et dans les gradins. On applaudit au moindre changement de rythme, alors que l’on bavassait et pétait pendant le solo. Les batteurs de talent se font de plus en plus rares. Et par-dessus tout, je n’aime vraiment plus le saxophone, sa tonalité chuintante, mielleuse. Trop soft. Pourquoi en a-t-on fait le roi du jazz ?
J’ai en revanche redécouvert avec un immense plaisir deux autres cuivres qui ont ce soir fait mon bonheur : la trompette et le trombone. La trompette que je pensais haïr et trouvais ridicule, probablement par jalousie et faiblesse depuis que, jeune pubère, je folâtrais avec une donzelle dont le régulier en excellait et l’enseignait au Conservatoire. Fausse route ; Cake d'abord m’en avait soufflé quelques notes à l’oreille, furieuses, passionnées, dansantes en diable (oh ces trois mesures à la fin de I Will Survive! quelle reprise que celle-ci !) ; Calexico ensuite me l’avait susurré, de ses harmonies solennelles et funèbres, déchirantes à en trancher des canyons entiers dans les déserts du Mexique. Benoit Piché, mon serviteur d’un soir, me l’a confirmé : la trompette est un formidable vecteur d’émotions. Le trombone également, à la voix rêche, chevrotante, un Nègre qui aurait trop fumé, abusé de la gnole. Tiraillements laryngiens, éclats de rire, bris de bouteilles. Un monde qui me parle, charmant.
La vraie bonne idée des Boppers, toutefois, c’est d’avoir donné carte blanche à un peintre (dont le nom m’a échappé et que Google ne m’attrape plus, de ses lassos pourtant si redoutables) et un acolyte numériseur qui leur ont créé un environnement visuel très apte à transcender une imagination il est vrai déjà fort sollicitée par la musique. Une iconographie admirablement figurative sortie tout droit des Années Folles, colorée, juste, excitant les sens. Des femmes en robe de soirée mondaine, à la chevelure si typique des années jazz telles qu’on les fantasme, à bas de nuque, ondulée et délicieusement châtain, des pin-up de Tex Avery sans la lubricité : mi-lionnes, mi-princesses, dangereusement séduisantes (ma mère aurait dû vivre dans les années 1930 – elle aurait été reine à cette époque). Des hommes, costumés, cravatés, cigare en main. Un noir - LE Noir : une vraie tête de nègre comme en suçotait gamins, démesurément enflée, la face six fois comme le corps de la jeune blanche qui, charmée et honteuse, lui caresse le nez d’une main si pudiquement érotique.
Des tableaux vivants au demeurant, là réside l’originalité du concept. Ce visage immense qui ouvre le spectacle : une demoiselle distraite, qui regarde de côté, le sourire déjà accroché au plafond, près des bouteilles de scotch ou de quelque vin pressé maison, lequel n’avait guère à se préoccuper de normes sanitaires et autres appellations contrôlées et devait être d’autant plus bon pour le cœur qu’il était oenologiquement pathétique. On se prend à rêver, à imaginer les soirées de la belle, on se demande qui on aurait été soi-même, fusse-t-on né cette génération-là. L’image à l’écran recule lentement, lentement, si lentement qu’on l’oublie totalement, d’autant que la musique, elle, est rythmée, joyeuse, impulsive. Soudain, on se rend compte qu’on a sous les yeux, derrière les musiciens, un bar tout en entier, un sacré bon party au sous-sol d’une taverne illégale. Ce visage qu’on lisait avec une netteté épatante n’était qu’un détail microscopique d’une fresque bien plus grande. Les regards, on le comprend, se perdent dans l’horizon, par-delà la rambarde d’un paquebot, dans le fond d’un verre vide, dans la fumée des cigares, dans l’espoir du lendemain.
C’était ma foi vivifiant et je souhaite que plus d’un groupe se prête au jeu dans le sillage des Boppers. Quant à leur tournée, je la leur laisse sans regret. Le trompettiste et le tromboniste, qui en l’occurrence est aussi le compositeur attitré de la formation, étaient nettement au-dessus. C’est amusant car c’est sur leur seule présence que j’avais fait le choix de ce concert : ils étaient en 1995 deux des principaux collaborateurs des Colocs, groupe autrement plus populaire au Québec dont le style, les styles justement, annonçaient une palette d’émotions incomparable. Voilà donc pour les au revoirs.
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