vendredi 16 juillet 2010

Retours d'enfance

Je fais vœu de rester à jamais un enfant
D'intact conserver mon émerveillement
De me plier aux fées qui font que tout est beau
De sourire à la vie, d'en saisir le cadeau

J'ai eu quelques formidables occasions de m'ébaubir ces derniers temps.

A quoi bon se prendre au sérieux ? Des gens tout ce qu'il y a de plus respectables, je dirais même raisonnables, jettent toute leur passion avec... raison dans quelques élucubrations de pochard à vous arracher des pupilles grandes comme des navets, des sourires longs comme des carottes. Et comme la soupe fumante que votre tendre mère vous déposait sous le bec, ces mirages d'adultes destinés aux enfants qui sommeillent en nous ont une texture veloutée à l'envie.

Je me souviendrai toujours de ce petit garçon au Musée Ghibli de Mitaka dans la banlieue de Tokyo, sanctuaire tout puissant, ouvert comme un moulin, à la gloire de ce vieux filou de génie de Hayao Miyazaki, où les gamins hurlent et se vautrent dans un chat-bus en mousse, où les parents redécouvrent extatiquement le principe moteur du dessin animé, et où tout le monde se retrouve en fin de parcours pour, accrochez votre coeur Messieurs Dames, la suite en exclusivité mondiale de Mon voisin Totoro !


Je ne révèlerai rien à ce sujet ; quiconque a un jour aimé le gros dragon-chat (fabuleusement prénommé 小龙猫 de l'autre côté de la mer de Chine) saura que la magie l'attendra sur l'écran. Ainsi que dans la salle. Car lorsque – ah mon dieu ne puis-je donc pas en parler ? - lorsque disons l'événement T se produit, dans un silence complet au plus fort de la tension, ce petit garçon que j'aime comme un fou furieux sans avoir vu son visage, s'est fendu d'un « oooh » d'une telle sincérité et d'une telle émotion (avait-il donc vu Dieu à la place du Totoro ?) que toute l'amphithéâtre soupira de bonheur à sa suite. Ce simple petit cri de ravissement m'arrache encore des larmes à l'occasion, et en ce moment même notamment (mon troisième verre de Bombay Sapphire doit aider j'en conviens).

Toujours est-il que ce petit bambin aurait pleuré de joie lors de la prestation polonaise à l'Internationale des Feux tirés depuis la Ronde sur les accords de Chopin, dont c'est décidément partout et longtemps le bicentenaire. Tandis que je plaquais ma tête entre les barres d'acier du disproportionné pont Jacques Cartier, faisant fi des araignées énormes qui logent sous ses pylônes, oubliant mon vertige dans la contemplation béate de la foule massée quatre-vingt mètres sous mes sandales, quelques vieux fous de Krakow ou de Poznan tiraient en jubilant des fusées aux merveilles, qui s'en allaient recréer au ciel ces mêmes araignées en mille fois plus belles, carnavals de poudres et d'étincelles scintillant sur les flots noirs d'un Saint-Laurent placide, dégringolant par tous les sens en rouge, en or, en diamant et repartant à l'assaut des avions (ô je sais déjà combien je vais pleurer en quittant Montréal, mais serait-ce humainement possible de résister à une dernière salve depuis mon haut hublot si je trouve par bonheur un avion de retour survolant le quartier un samedi soir d'été ? mon cœur survivrait-il à un dernier feu d'artifice qu'il ne saurait lire que comme m'étant dédié ?).


Quelques semaines plus tard, j'eus le bonheur intense d'être de la première du Cabaret des Sept doigts de la main, tenu à l'Olympia dans le cadre de Montréal Complètement Cirque – un dinosaure de plus qui s'en vient brouter l'herbe brûlée et rasée de la demande culturelle dans une ville totalement saturée, mais qui de mon humble avis peut et doit s'imposer comme LE festival qui définira dans dix ans Montréal et le Québec. Ne sommes-nous pas dans la capitale mondiale du nouveau cirque ?

Les sept doigts : un enchevêtrement sans queue ni tête de numéros plus terrifiants les uns que les autres, de la petite trapéziste qu'on a envie de gifler pour la punir d'avoir pris tant de risque et de nous avoir ainsi crispés à la jongleuse lesbienne russe qui balance ses neuf baballes sous une table en tapant des claquettes. Revoir du cirque adulte, quinze après les extraits du Cirque de Pékin à la télévision, c'est plonger soudainement dans la réalité que les acrobates sont de parfaits inconscients, dont les risques inconsidérés n'ont pour raison d'exister que notre propre bonheur jaloux, mesquin et possessif. Je vous aime ! y a-t-il plus belle offrande, plus direct don de soi, de son corps, de ses émotions, que de bondir à huit mètres du sol en vrillant comme un forcené sans même écouter les tonnerres d'applaudissements qui s'en suivent ?

Je pensais avoir trouvé dans la danse contemporaine mon filon pour la vie ; c'était je pense sans compter sur le cirque. Or, depuis que tout gamin je rôdais sous les chapiteaux, une magnifique invention est venue ajouter son grain de ciel à la création foraine : la roue allemande. Taisons-nous donc un instant et contemplons les artistes.


Je fais vœu de rester à jamais un enfant
D'intact conserver mon émerveillement
De me plier aux fées qui font que tout est beau
De sourire à la vie, d'en saisir le cadeau

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