samedi 30 janvier 2021

mardi 7 février 2012

Un programme évident

En ces temps de pré-campagne électorale dans une France qui tend à se chercher - et de campagne plus ou moins permanente sur une scène politique québécoise qui n'a pas l'air de beaucoup plus se trouver -, il m'a fallu une toute petite heure pour comprendre quel était le seul et unique programme politique valable pour sauver nos sociétés occidentales, et ce grâce à la lecture de l'admirable et profondément déprimant second tome de La vie secrète des jeunes, de Riad Sattouf.

Une centaine de planches vives, drôles, affligeantes, d'instantanés de la jeunesse française saisis sur le trottoir, dans les cafés, dans la ligne 9 du métro entre Répu et Nation. Et au fil des pages un programme politique qui émerge, du bon sens et de la marche en avant :
  • loi d'interdiction totale et à effet immédiat de l'usage du verlan ;
  • suppression de tous les services de police et de CRS ;
  • transfert de l'intégralité des économies budgétaires vers l'Éducation, avec une légère manne pour la culture, ce qui devrait déjà suffire à quadrupler son budget.
Ensuite sacrer son camp ailleurs, par exemple au Québec, serrer bien fort les fesses et attendre que ça passe, mettons le temps d'un quinquennat. Dans le fond, je serais un excellent Président pour cette République en fort déclin : abandonner autrui les deux pieds dans la marde, enfoncer sa tête sous le sable, la politique de l'autruche comme fondement idéologique.

Au-delà de ces inepties, et en gardant certes à l'esprit qu'il s'agit du propos exact de la bande dessinée, que Riad Sattouf a délibérément choisi d'exposer les absurdités et les horreurs qu'il entend, voit, subit chaque jour, essentiellement dans le nord et l'est de Paris où pourtant j'ai plus que traîné mes guêtres et que j'ai aimés comme rien d'autre, en gardant tout cela en tête, La vie secrète des jeunes n'en reste pas moins effarante. Où donc en est rendue la France après trois ans seulement de sarkozysme (l'ouvrage est sorti en 2010) ? Le cocktail délitement des principales balises éducatives / appauvrissement du niveau linguistique / culture de la peur et dopage des services de sécurité à l'hormone de l'agressivité et du tutoiement systématique ("Ho ! tu t'appuies pas sur la voiture ! - Mais c'est la mienne, je fais c'que je veux, pourquoi vous me tutoyez ? - Ok, fais voir tes papiers.") / tassement par le bas de la qualité des médias / absence de curiosité vers le monde et vers les autres semble faire des ravages dans la part la plus désoeuvrée de la jeunesse du pays. Conséquences : un irrespect assez général, un désengagement des parents comme des profs, une violence verbale et parfois physique qui s'impose comme le moteur principal de toute interaction sociale (attaqué à la scie en plein métro, vraiment ?), le tout dans un langage décidément appauvri qui semble ne servir que deux missions : écorcher les oreilles et déblatérer des inepties incroyables.


L'honneur et la solidarité sont régulièrement invoqués, ce qui fait certes deux valeurs en théorie positives, qui semblent surtout cristalliser les angoisses et rancoeurs de minorités dites "visibles" (lire, colorées) trop longtemps discriminées par la majorité blanche et christo-athée ("Nous on est des reubeu, vous vous êtes dé renois voilà, franchement on est dé muslims, cé ça qui fé qu'on é dé frères et voilà", sur quoi le "renoi" décroche son téléphone et débat des échecs footballistiques d'un joueur de l'OL après avoir tenté un argument étrange sur le "respé des tradissions"). L'un dans l'autre, les gens ne s'écoutent pas, ne s'aident pas ("J'te parie 10 euros mon frère que j'donne un coup dans l'clodo là-bas"), ne comprennent pas les enjeux ("Y'a pas de travail pour les musulmans, ici ils nous détèss. - Hein ? Qui c'est qui vous déteste ? - Les céfrans. - Y vous détestent ? - Y nou détess. - De quoi ? Mais nan ! - Mais y verront. - Tain mais c'est trop trop marrant mais Farid mais haha") et cela n'a absolument rien à voir, contrairement aux théories de conflit des cultures que l'UMP tente de nous faire gober, avec une arabisation de l'Europe qui de toutes façons est en marche au nom de l'histoire de l'humanité faite de migrations - les Francs n'étaient-ils pas de robustes barbares allemands il y a encore quinze siècles ? Les blancs, les artistes, les pédés, les bourgeois du 5e en prennent aussi pour leur grade et ne font pas plus montre de respect, de tolérance, d'intelligence dans les rapports humains.

Ce que j'avais apprécié avec Obama, tout en suivant de très loin la politique états-unienne, c'était l'espoir, la fraîcheur que son discours incarnait : même si dans les actes il a déçu, sans doute plus parce que en politique on a toujours les mains liées par un budget, une administration, un lobbying qui pèsent, son propos aux jours de l'élection apportait le message que la première puissance au monde désormais revenait dans le droit chemin de l'écoute, de la coopération, du partage, après huit longues années de "Eux contre nous" qui a culminé dans une quasi-réalisation de la prophétie de Hutington. Je me souviens avoir difficilement contenu mes larmes dans un restaurant américain de Beijing, au petit matin du 5 novembre 2008, alors qu'ils étaient encore le soir de la veille à Chicago, tandis que le president elected prononçait son discours de victoire truffé de désormais classiques "Yes, we can!". Pleurer pour un discours ? Non. J'étais profondément ému par les larmes des autres, dans ce restaurant bondé où Américains, Chinois, Européens, toute la jeunesse internationale de Beijing, coeur névralgique du nouveau monde, l'un des deux pôles magnétiques du G2 qui émerge, s'était réunie pour écouter ce message de paix et d'espoir et s'en effondrait de bonheur, dans les bras les uns des autres. L'image de tout un pays venait de se transformer et le monde ne pouvait plus se diriger que vers quelque chose de plus beau, de plus harmonieux, ce qui, c'est ironique, déplut fortement à Hu Jintao.


Ainsi le voilà, le seul et unique programme politique qui devrait être autorisé en France : celui qui prêchera l'avènement d'une société neuve, jeune, forte de ses différences, riche de ses complémentarités, celui qui prétendra vouloir bannir l'intolérance et punir fort l'irrespect, un candidat qui remettra sur les rails, fermement mais avec passion, de vraies valeurs comme l'éducation, la politesse, le sourire, la charité, le goût de lire autre chose que des 20 Minutes truffé de fautes d'orthographe et d'inexactitudes, celui qui offrira à son peuple, plutôt que de grandes utopies blanches et protectrices, un peu de liberté quotidienne pour chacun, un peu d'espoir dans l'avenir et surtout beaucoup d'amour. En un mot : du bon sens, car ce qui fait de nous des hommes, c'est le regroupement collectif, et sans amour le collectif implose. Finalement, le Parti du Plaisir, c'est pas si bête que ça.


jeudi 26 janvier 2012

Deux très bons films couleur locale



Comme je l'expliquais en novembre dernier, je n'ai pas la télé à la maison ; un abonnement chez Bell ne fait même pas partie de mes résolutions pour 2012 (comment ça me désabonner de chez ces rapiats de Fido devrait en être une ?) En revanche, je possède un écran. De qualité assez moyenne, avec un bon cinquième supérieur vrillé de lignes blanches relativement exaspérantes, mais un écran quand même, qui ne me servait pas à grand chose jusqu'à ce qu'on me fasse présent, ô quelle merveilleuse donation, d'un lecteur DVD.

Le tout est désormais installé devant un sofa qui n'attendait que cela, et si l'absence de télécommande, et donc l'impossibilité d'exploiter les options de menu (choix des chapitres, sous-titrage) me condamne à visionner en boucle le seul premier épisode de La Petite Vie, elle permet en revanche de réduire drastiquement mes choix de films à ceux qui sont en français, ou en anglais. J'en ai donc profité pour faire la razzia des quelques bibliothèques du réseau et mettre à exécution ce plan trop longtemps retardé : une sérieuse mise à jour dans ma culture ciné québécoise.

DVDs ramassés au hasard et fort joyeuses surprises ! avec deux pépites pour mon premier coup de filet : Borderline de Lyne Charlebois (2008) et Gaz Bar Blues de Louis Bélanger (2003), tous les deux servis par d'épatants acteurs primés aux Jutra.

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Borderline m'a plu d'emblée. Évidemment parce que le générique expose une jeune fille nue qui se verse goulûment du vin sur des tétons ma foi bien alléchants et filmés en close-up, mais aussi parce que les premières images - Kiki apparaissant sur le bord du Canal de Lachine côté Verdun, les tours du downtown en arrière-plan - donnent d'emblée le ton : on sera dans un film montréalais. Et, mieux encore, dans un Montréal d'hiver, canal gelé, chemins de neige épaisse, ciels bleus d'une immensité à en perdre la raison. En voyant sur mon écran exactement ce que j'apercevais de la fenêtre de ma toute première chambre canadienne, je me suis senti dans un décor on ne peut plus familier. C'est un plaisir intense que de reconnaître dans un long-métrage, avec ce grain si propre à la fiction, des allées et promenades que l'on a parcourues avec des yeux de caméra documentaire ; un sentiment de complicité fort s'installe avec le réalisateur et donc, par transitivité, avec les personnages qu'il anime.

D'autant qu'avec Kiki, j'en ai des choses à partager : Borderline c'est avant tout l'histoire d'une jeune adulte qui approche dangereusement de la trentaine en se demandant bien ce qu'elle fout de sa vie, qui est supposée écrire - elle est en maîtrise de littérature - et qui ne parvient plus à créer. "J'arrive plus à écrire... je sais plus QUOI écrire", lance-t-elle à son professeur avant de lui projeter son corps sur les genoux à défaut de son âme sur des feuilles. Car Kiki est atteinte du trouble de la personnalité borderline (CQFD) qui caractérise un manque cruel de repères sociaux et un désir d'affection si intense qu'il se manifeste le plus souvent par des excès pathologiques. En l'occurrence, trop de drogue, trop d'alcool, trop de sexe - c'est assez montréalais, sommes toutes ; avec les petits bistrots designs et le beau gars bien charmant.

Tout ça, c'est surtout prétexte à de superbes scènes, avec un parti pris de réalisation amusant : puisque trois époques se croisent (Kiki à 7 ans, à 20 ans, aujourd'hui), croisons-les pour de vrai ! Les acteurs se... croisent donc, en permanence, quoique les uns tournant le dos et devenant figurants pour sortir d'une scène de rue dans laquelle les mêmes personnages maturés de dix ans entrent de face. C'est étonnant et ça donne lieu à des images exquises, comme ce moment où deux Kiki à une vie d'intervalle se trouvent à jeter des boules de neige dans l'eau depuis ce même pont près des Écluses.

On ne saluera jamais assez la prestation de Isabelle Blais, dont on tombe instantanément amoureux, celle de Jean-Hugues Anglade présenté dans le générique comme "invité exceptionnel" mais qui occupe pourtant le deuxième rôle principal, riens moins, et surtout l'extraordinaire Sylvie Drapeau en mère folle et murée dans sa folie, silencieuse l'essentiel de ses apparitions, fixant le vide de ses grands yeux bleus et glacés comme la neige. On en frémit à chacune des visites de Kiki à l'hôpital.

Je vous mets ici la bande-annonce officielle parce que c'est quasiment tout ce qu'on peut trouver sur la Toile, à l'exception du film en intégralité en allemand, preuve que les Teutons ont su reconnaître dans le Montréal de Kiki un peu de leur Berlin ? Mais à mon goût elle rend trop peu hommage au film dans son ensemble.


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Gaz Bar Blues, lui, se déploie sur un tout autre ton, tragique, une sensation de fin d'époque, de fin de monde. Les thèmes, pourtant, restent fidèles à tout ce que le cinéma québécois possède à partager : des histoires de famille, encore et toujours, sur un fond sonore excellent, rappelant, scène après scène, film après film, l'amour incroyable que vouent les Québécois au rock'n'roll, au bon, au vrai, de Dylan aux Pixies.

Le Gaz Bar, comme son nom l'indique, c'est la station essence Champlain, dans un quartier un peu crado du Montréal de 1989, alors que le mur de Berlin s'écroule. Le Blues, c'est Monsieur Brochu, "Boss", le gérant et père de trois enfants tous embarqués sur la même galère, leurs shifts du soir et leurs petites chicanes de famille. Ils ont des rêves bien entendu, l'un est musicien, l'autre photographe, les trois pourtant sont pompistes et pognés à la job parce que le vieux patriarche ne lâche pas l'affaire. Viennent trottiner autour, chaque matin dès avant l'ouverture et jusqu'à chaque soir, tous les désoeuvrés du quartier, des habitués de clopinettes, une MacDonald bleue, un paquet de gommes, le journal du mardi. Ça tourne pas très rond, financièrement parlant, mais ça fait vivre le quartier : d'anecdotes et de légendes plus que d'autre chose.

Une foule oisive et fondamentalement masculine (les seuls rôles féminins sont ceux de Nathalie, la soeur aînée qui a quitté la maison et revient peu, puis deux danseuses nues et deux catins pour un temps d'écran cumulé de une minute au plus) ; un monde d'hommes au-dessus duquel règne le très grave... Serge Thériault, oui oui, l'humoriste, lui qu'on a connu plus jovial et plus féminin puisqu'il incarne Moman dans l'indétrônable et burlesque Petite Vie.

Ici, pas de temps pour les niaiseries : on cause d'affaires, et d'affaires d'hommes, de comment on élève une famille dans le respect et dans la dignité. On tente de faire leur nique aux voleurs, avec les poings s'il le faut. On fait le dos rond devant les inspecteurs de la compagnie qui n'aiment pas trop tout le tintouin autour des pompes à essence. C'est plein de vie et de belle langue, le français urbain et ouvrier du Montréal post-révolution tranquille, celui que probablement on appelle le joual, son argot facétieux et ses anglicismes à outrance. Ça sacre à tout va sans jamais paraître vulgaire et ça finit, dans ces histoires bien machos, par générer une tendresse infinie pour tous les personnages.

Étonnamment, il est très difficile de dénicher sur la toile des extraits de ces deux films, pourtant relativement grand public lors de leurs sorties en salles. Je vous laisse donc la joie d'aller les découvrir, en intégralité, par vous-même. Pour le plaisir quand même, parce qu'elle illustre à merveille l'humour, le langage coloré et l'amour de la musique qui en constituent l'ossature, la fameuse scène du "Es-tu debout Gui ?" (monter le volume !).

jeudi 5 janvier 2012

Dernier souffle !

Ah ben coudonc ! C’est quoi l’idée ? 
Étaient-ce les relents d’états grippaux que je traîne depuis les excès du Nouvel An ? Était-ce le verre de whisky que je me suis accordé en rentrant, pour réchauffer l’intérieur, et qui m’a délassé les nerfs plus que de raison ? Ou c’est-tu plutôt que cette thématique-là – celle de la mort, pas l’instant clinique du décès mais plutôt le long processus social, médical, familial qui y conduit – me fait décidément du mal ? C’est-tu tout simplement que Michel Rabagliati est un génie, point à la ligne ? Le fait est : j’ai pleuré à chaudes larmes hier soir, et pas qu’un peu, sur les presque deux cents planches de l’un derniers opus de sa série, Paul à Québec.

Cela a commencé vers la page 28, au milieu des souvenirs d’enfance, et, comme si une digue quelque part avait cédé – mises en abyme dans ma propre famille ou dans ma propre enfance, beauté des discours simples, de l’expression claire des sentiments de chacun, longue descente vers la hantise de dire adieu sans fioriture et sans peine à ceux qu’on a aimés – tout s’est mis à trembler dans mon petit crâne affaibli par l’alcool et le vent. Les problèmes de plomberie qui ont frappé mon immeuble en début de semaine n’étaient qu’un préambule aux fuites qui allaient frapper mes orbites. Oh oui j’ai bien chialé. Comme une vieille madeleine. 


Michel Rabagliati, donc, auteur de bande dessinée québécois sans commune mesure au pays, loin devant Guy Delisle dont les pourtants brillantissimes Shenzhen puis Pyongyang avaient fait mes nuits asiatiques - , célébré depuis 1999 et la publication aux Éditions La Pastèque du premier volume des aventures toutes simples de son héros ordinaire, le susnommé Paul. Un Paul que certains dans le milieu vont jusqu’à comparer à Tintin ; or, loin des expéditions océaniques ou polaires et en l’absence d’indices occultes ou francs-maçons, je rapprocherais plus volontiers Rabagliati d’un Lewis Trondheim époque Lapinot, autre magnifique série cartonnée et nez-en-moins outre-atlantique sur les petits bonheurs et malheurs de la vie quotidienne, ses amours, ses amis, ses décès, d’une sobriété bouleversante et d’une acuité superbe. 

Fi du mélodrame ! ce qui est touchant, dans le tracé graphique et philosophique des semaines d’un Paul à qui il n’arrive sommes toutes pas grand-chose, c’est qu’on y imbibe son mouchoir certes de tristesse, mais aussi très souvent de joie, tout simplement. C’est une vraie délivrance d’avoir appris à faire la distinction entre les deux : pleurer parce que c’est beau, parce que c’est heureux, parce que c’est drôle, cela relève presque de l’orgasme, au sens biologique du terme : un tel excédent de substances chimiques euphorisantes que l’organisme, incapable de plus rien gérer, se braque et expulse de l’orifice concerné un liquide chaud et collant (je ne veux certes plus rien entendre de mon concept d’orgasme musical). Une vraie éjaculation oculaire : qui vous abat comme un cheval, vous laisse mort et pesant et le sourire au coin des lèvres. C’est le récit de ces grandes réunions familiales pour la Noël et la Saint-Jean ; les grands-parents, patriarches de la joie, qui veillent sur leur tribu de « lapins » et « ti-lapins » en les gâtant de courses de sleigh, de tipis dans les bois et autres suçons au sirop d’érable (« Des enfants qui courent partout, de la famille plein la maison, qui mange, boit, rit et parle fort, il n’existe pas de plus grand bonheur pour Roland et Lisette » et le merveilleux du sourire tracé d’une main experte au visage des deux vieux) ; les promenades entre adultes, tôt le matin, les souvenirs de l’époque pas si éloignée où Saint-Nicolas était un hameau de trois chalets sur un ruisseau. Le monde change, la marmaille crie, vive la vie ! 


Pis comme le dis Roland, « Vieillir, c’est pas drôle pantoute, mon Paul, profitez de vot’ jeunesse, parce que ça passe vite en simonac, la vie ! ». De fait, de la page 81 et pour les cent-quatre suivantes, Paul à Québec devient le récit de la disparition foudroyante d’un vieil homme frappé au pancréas. On ne tombe pas dans le pathos, loin de là : car l’auteur a l’intelligence d’axer sa réflexion et ses regards sur ce qu’il reste des autres, sur leurs appréhensions, sur le bras-de-fer titanesque que se livrent leur désir d’apporter du bonheur au mourant et leur terreur de ne point savoir quoi faire. L’homme a, depuis l’époque des cavernes, cherché à dédramatiser la mort en la dramatisant – en la mettant en scène, une pièce tragique chaque fois renouvelée, afin que les enfants, les adultes, tous, sachent de quoi il retourne, ne craignent plus d’y passer. C’est pourtant tout le temps la même chose : on ne sait rien, on craint et on pleure. À plus forte raison lorsqu’il s’agit de nos propres géniteurs. Même après vingt visionnages, je m’effondre toujours lorsque le grand Forrest, si beau et si niais, si niais et si beau, accourt au chevet de sa mère : I’m dyyying Forrest. Come sit over here, puis la puissance, la foi incroyables qui émanent de cette vieille. 


Tout paraît tellement simple lorsqu’on trouve les mots.


Si j’ai souvent aimé Trondheim, je lui ai toutefois, à l’occasion, reproché un léger manque de profondeur. Dans Paul à Québec, et me semble-t-il dans le reste de l’œuvre de Rabagliati – Paul à la pêche m’avait beaucoupé touché l’été dernier – il y a aussi un peu du Larcenet du Combat Ordinaire, cette prise de recul de l’auteur sur ses propres personnages, ce discours narratif à la première personne dont on sait très bien qu’il n’est pas celui du protagoniste mais de l’homme caché derrière son crayon ; ces longues planches sans dialogue réel mais truffées de réflexions très vives, violentes et transparentes sur ce que c’est qu’être un homme, la difficulté à prendre des responsabilités auxquelles on n’a jamais été habitué, la façon dont on reste malgré tout, pour toujours un enfant, démuni, sans réponse, même lorsque parent à son tour on se doit de jouer à l’adulte pour répondre aux questions qui surgissent d’une petite de cinq ans. Émergent en outre quelques très beaux concepts auxquels on pense rarement : ce médecin qui avoue, dans les dernières heures, ne plus rien pouvoir dire car « Soit il se laisse aller et ça ira assez vite, soit il s’accroche et cela s’étirera plus longtemps. C’est quand même lui, jusqu’à un certain point, qui contrôle la situation. » Même atteint du cancer, cette nuisance ultime, on continue de commander. Moi qui depuis l’adolescence me faisait fort, au crépuscule de la vieillesse, de trouver quelque part les ressources, le courage pour un suicide en fanfare, histoire d’être celui qui mène la cadence jusqu’au bout !

Ceci encore : préparer minutieusement, de son vivant, chacun des détails pour le jour du départ. Le cercueil, la cérémonie, le lieu, jusqu’aux discours presque. Vanité, prétention de se construire une postérité qu’on sera trop bien crevé pour pouvoir apprécier ? Pas forcément : en allégeant ceux qui restent du fardeau de devoir choisir, à plus forte raison dans une situation où le poids de décisions acquises pour l’éternité peut s’avérer insurmontable – après tout on ne meurt qu’une seule fois, pourquoi un cercueil bleu plutôt qu’un cercueil jaune ? – c’est soulager ses proches et leur offrir de ne se concentrer que sur leur propre deuil, leur parcours intérieur, et c’est un magnifique présent à léguer aux suivants. Car dans le fond, celui qui meurt n’est jamais celui qui souffre le plus de sa mort. 

Je m’inquiétais récemment de n’avoir, à bientôt trente balais, jamais assisté à un seul enterrement. J’ai appris depuis qu’on peut aussi les avoir évités comme la peste jusqu’à la cinquantaine passée, jusqu’à celui de ses propres parents, qu’on y commet nécessairement quelques erreurs - de débutant - mais que cela n’empêche pas de faire son deuil de même, de dire adieu de même et peut-être encore mieux que si l’on était blasé, que si c’était le dixième. Je remercie aussi vivement les deux amis qui ont eu la douleur de perdre récemment quelqu’un de cher et plus encore la force et la dignité pour faire les choses en bien, avant, pendant, depuis. Bravo à eux pour avoir su partager un peu de cette peine, un peu de cette force ; j’espère puiser la même lorsque mon tour viendra, pour enterrer les miens, pour que les miens m’enterrent. 

Quant à toi, vieux salaud de Rabagliani : à quand le prochain tome?

lundi 2 janvier 2012

Nouveau souffle

On m'a invité, le 30 décembre au soir, à assister à la désormais traditionnelle Veillée de l'Avant-Veille au Club Soda, pour l'occasion assailli de plusieurs centaines de jeunes Québécois, de plusieurs dizaines de moins jeunes Québécois et de quelques groupes bien garnis d'anglophones dont on se demande bien ce qu'ils faisaient là tout en trouvant leur présence admirable.

Le très bon groupe de musique tradi Le Vent du Nord en profitait pour fêter son dixième anniversaire en partageant les planches avec toute une marmaille de collaborateurs divers, dont l'excellent câlleur Jean-François Berthiaume pour la grande danse du final.

Ce fut ma foi tout à fait sympathique. La Veillée de l'Avant-Veille, qu'on m'avait décrite en toute mauvaise foi comme un insupportable ramassis de nationalo-extrémistes greffés à leur biniou, s'avéra être un monde certes original, mais plaisant. Un monde dans lequel on croise sa soixantenaire de proprio près du bar de l'entrée. Un monde dans lequel, privés de batterie, les musiciens marquent le rythme en tapant le sol des pieds, sans jamais en perdre une mesure. Un monde fait de cordes assurément, quand jusqu'à trois guitares et quatre violons partagent avec la viole de gambe quelque farandole inchangée depuis le 19e siècle. Un monde masculin, viril et guttural, de beaux gars pourtant, ce qui rappelle d'ailleurs à quel point le Québec est la seule nation au monde - avec le Vietnam peut-être - où les hommes sont, systématiquement, implacablement, plus beaux que les femmes ; un monde dans lequel dix, onze, jusqu'à douze de ces gaillards montent sur scène pour des polyphonies puissantes, démontrant un amour du chant qui rappelle les Mongols, les Corses ou les vieux Béarnais, tandis que certes une jeune fille bien en chair exécute dans le public des pas de gigue aussi rapidement que si sa vie en dépendait. Un monde dans lequel la position statique devient techniquement impossible, les déhanchements de la foule se perpétrant de l'avant vers l'arrière, de l'arrière vers l'avant dans une sorte de coït fraternel, contraignant tout un chacun à suivre le mouvement sous peine de voir son dos plié en six morceaux. Et c'est que cela danse !


Car à l'issue de deux "premières parties" qui semblent conclure le spectacle, une petite partie de l'auditoire s'en va braver le froid tandis que les plus patients trépignent un bon vingt minutes supplémentaires - le temps d'une ou deux bibines pour les musiciens. Lorsque ceux-ci s'en reviennent, c'est donc en présence du Berthiaume ci-dessus mentionné, à titre de câlleur. Alors le câlleur, j'ai découvert ceci il y a trois jours, c'est le vieux bonhomme qui appelle (who's calling the dance steps?), celui qui indique aux danseurs les pas à effectuer, le tout bien entendu en rythme, à un rythme même effréné, suivant la gigue, déblatérant ses instructions sans jamais se reposer la langue, un peu comme un Big Red ou autres chanteurs de raggamuffin. Numéro 1, un pas à droite, on prend la main, numéro 2, on avance et on croise, une étoile, un quinconce, les numéros 1, les numéros 3, deux pas en avant, swingue-là, passez par en-dessous, revenez au départ. Danse, contre-danse. On se croirait tout à fait dans Astérix, peu avant que l'intrus Cétyunix ne se fasse démasquer - tirez-y les moustaches !. J'étais moi-même démasqué, avachi dans les gradins, épuisé de fatigue comme de plaisir, avant de quitter les danseurs qui semblaient partis tournoyant pour ne plus s'arrêter.


Le Vent du Nord s'envole demain pour la Colombie, deux dates assurées dans un festival de musique folklorique. Il m'a quant à moi redonné du souffle pour attaquer 2012 et je trépigne déjà de les revoir, peut-être pour la Saint-Jean, peut-être pour une gigue, qui sait.

Bonne année à tous !

vendredi 23 décembre 2011

Des Oscars ! Des Molières ! Des prix !

Ne perdons pas de vue que le but initial de ce blogue était - très égoïstement et avant que tu ne commences à le suivre, brave Lecteur Inconnu - de conserver dans un petit coin de ma tête, dans un petit coin de la sphère, le détail des spectacles zet excursions qui auront fait mes nuits, mon bonheur et ma vie, pour le meilleur et pour le pire. Or voici venue l'époque des bilans annuels, pénétrez dans le premier MultiMags venu pour vous en rendre compte, et je ne couperai pas à la tradition en revenant creuser, pour mon propre bagage, le souvenir de ceux et celles qui m'auront bouleversé en 2011.

Coup de coeur théâtre : à égalité Octobre 70, de Martin Genest et Mille Anonymes,  de Daniel Danis

Deux compagnies, deux metteurs en scène bien d'ici pour célébrer une année au cours de laquelle j'aurai enfin pris conscience du potentiel immense que recèle le théâtre québécois. Débarqué au Canada armé d'une passion quasi compulsive et essentiellement mono-tâche pour la danse néo-classique, doublée d'une grande ignorance de la plupart des choses du théâtre, j'ai eu tôt fait de me réjouir devant la vitalité, l'humour, la puissance des écrits et du jeu des professionnels des planches de ce côté-ci de l'Atlantique. Et c'est, une fois n'est pas coutume, le FTA qui m'aura le mieux comblé à cet égard.

Octobre 70 où une relecture de la crise du même nom, du film de Falardeau, de toutes les archives politiques de l'époque, dans une mise en scène grandiose, tant par son originalité que par ses dimensions, puisque c'est du quatrième étage de massifs gradins de chantier que j'ai observé, partagé, souffert les interrogations d'une bande de jeunes qui, poussés par des idéaux qui rapidement les dépassent comme ils dépassent toujours tous les hommes, en viennent à commettre le pire : tuer pour des idées. C'est haletant, peut-être plus pour le néophyte qui y redécouvre de grands pans mal pansés de l'histoire du Québec ; c'est truffé de phrases extrêmement fortes dont je n'ai plus, huit mois plus tard, le souvenir, si ce n'est qu'en retrouvant à la sortie quelques amis aux tamtams de Jeanne-Mance, je n'ai pas réussi à articuler le moindre mot durant près d'une demi-heure. Un état de choc terrible.


Mille Anonymes est à la fois aux antipodes et dans le sein même de Octobre 70. Profondément politique sans être ancré nulle part, profondément québécois quoique résolument pas montréalais, puisqu'on évolue quelque part dans le nord minier et abandonné du pays, voici un spectacle tout à fait chamboulant : on démarre en se disant très fort que ça va être long, qu'on aimerait déjà sortir, et l'on finit par sortir bien trop tôt en en redemandant.  Il faut dire qu'une pièce dont le dialogue est troué comme du gruyère a de quoi décontenancer : les phrases démarrent, ou se poursuivent sans démarrer, et vous laissent là, désemparé, avide de plus de sens, même si ce dernier est parfois trop bruyant, légèrement cliché, dans l'absence de mots trop évidents.

Ce qui m'a enthousiasmé chez Daniel Danis, c'est surtout cette inventivité superbe au niveau de la gestion des décors, de l'interface des acteurs avec leur environnement, la façon dont la scène évolue et se change non pas dans l'obscurité d'un bref entracte mais au gré de chaque pas des personnages, comme dans le sublime Voyage de la compagnie de l'Avant-Pays. Ici, dans la noirceur la plus glauque de la vie humaine, de la vie des mineurs, de la mort des mineurs, au milieu de l'hiver, du métal et des loups, de gigantesques panneaux latéraux vont et viennent dans toutes leurs couleurs brutales et effrayantes, des objets presque toujours froids, métalliques, obtus, quelques fourrures seulement, sous lesquelles on découvre l'amour, animal pourtant lui aussi. Et cette sinistre voix de crécelle, qui narre une histoire inutile envolée dans le vent, perdant ses mots au fil des mots, ne laissant que l'angoisse, une angoisse dont pourtant on sort émerveillé, rassuré peut-être parce que dehors c'est juin, c'est Montréal, c'est le temps pour une bière.



Coup de coeur Danse : S'Envoler, de Estelle Clareton

Alors là ! moi qui crachotais gaiement sur la danse contemporaine québécoise, infiniment trop surcotée à mon goût, j'ai retrouvé sur une seule courte pièce - moins d'une heure - tout le bonheur que j'éprouvais à Pékin devant les grandes compagnies européennes en tournée.

Clareton, certes, est française. Mais elle n'était pas même majeure lorsqu'elle a débarqué aux Ballets Jazz, on peut donc bien la considérer comme québécoise. Ses danseurs le sont de toutes façons, son collaborateur musical, Eric Forget, aussi : c'est d'ailleurs lui qui donne le ton, d'un petit battement de coeur émoustillamment électronique pour donner vie à un grand tapis de danse plongé dans le noir. Entrent alors, parfaitement en rythme et avec un humour formidable, tout le groupe des interprètes : une vraie troupe de pingouins, déhanché subtil, piétinement dérisoire, mouvements de tête saccadés à l'image des pigeons. C'est tellement bien coordonné qu'on croirait le Ballet Central de Chine, et pourtant c'est si organique, si animal, si plein de vie et de bordel qu'on se sent euphoriquement libre, apte à s'envoler nous aussi avec eux. Il faut dire qu'ils sont beaux, et sexys ; tous, hommes comme femmes, pas un des danseurs ne m'a laissé indifférent, et Clareton en joue, le loup pénètre dans le volailler, c'est sensuel, presque érotique tout en restant drôle et attachant. Tout ça lui a valu l'honneur de représenter en plein air au Théâtre de Verdure du Parc Lafontaine un peu plus tard dans l'été, et c'est fort mérité. Estelle Clareton : retenons bien ce nom !


Coup de gueule Arts vivants : tout le reste de la programmation au FTA

C'est toujours le risque avec les festivals un peu edgy, dont la marque de fabrique - et le FTA la revendique comme sienne - est d'aller chercher des spectacles qui ont fait parler plus pour parler que pour leurs qualités intrinsèques. Mais sérieusement ? Le Festival TransAmériques 2011 ? Hormis les trois spectacles ci-dessus, qui sont par ailleurs quasiment les trois seuls spectacles québécois de la quinzaine, tout le reste est à jeter aux orties, à commencer par les noms les plus grands.

Alain Platel et les Ballets C. de la B. ? deux heures épouvantables d'hétérophobie vulgaire. Chanti Wadge ? un travail chorégraphique aussi peu rigoureux que son sujet (une coréenne cherchant dans la forêt canadienne son rapport intime au monde), aussi plate que sa chorégraphe qui pourtant dénude sa poitrine sans raison sur la fin du spectacle, comme pour rappeler en désespoir le badaud qui partait. Lia Rodrigues et sa prétendue énergie des favelas ? une vague d'ennui plus que tout, des athlètes sans émotivité, et quatre vingt minutes de prouesse non dansée dans un silence total. Quant à Miguel Gutierrez, qu'il aille se carrer sa relecture du mythe de James Dean par la communauté queer de Brooklyn là où de toutes façons il nous dit très fort qu'il aimerait bien se la mettre : j'ai failli vomir en sortant d'un Conservatoire qu'on a décidément connu plus sage. Que plus personne ne vienne me danser en bobettes et jambes poilues sur les accoudoirs ou je tue.

Mention très spéciale toutefois aux néo-zélandais de la troupe MAU (Lemi Ponifasio) qui m'auront plongé dans une sorte de bad trip qu'aucune drogue, à l'époque, ne m'avait jamais provoqué - pour le moins le souvenir me restera violemment dans le coeur : quelle noirceur ! quelle horreur dans le sens le plus absolu du terme ! une horreur magnifique il est vrai. Ô les horribles petits moines shaolin et leurs piétinements épileptiques. Ô l'horrible petite vieille ailée comme un angelot, hurlant comme un démon. Ô les horribles nuages de poussière soulevés par des briques fracassés sur des cranes. Et mon Dieu ! ô l'horrible bête humaine, l'homme chien, le chien bête, cette créature hideuse aux jambes disproportionnées et qui rode, sans jamais dire s'il vient vraiment pour de bon ou pour le mal. Brr...




Et maintenant, sur les routes !


Coup de coeur Voyages : la Nouvelle-Angleterre.

Peut-être parce que c'était ma première vraie excursion loin de Montréal en près de quinze mois. Peut-être parce que c'était mon grand retour aux États-Unis après quinze ans d'absence, le temps pour une adolescence de s'écouler, pour des idées gauchistes et anti-américaines bien typiques d'un jeune français de germer dans mon esprit puis de céder la place au désir de regarder, finalement, comment c'est pour de vrai, au-delà des médias. Peut-être parce que la Nouvelle-Angleterre, c'est la partie émergée de l'iceberg, les belles pelouses un bloc avant le bidonville, les quelques États les plus éduqués, les plus babas, les plus blancs du pays : fromages fermiers et marchés biologiques, auberges post-soixante-huitardes, drapeaux américains dans chaque cour de chaque superbe mansion de planches blanches, violettes ou vert pomme, petits ports de pêche chahutés par l'hiver persistant de la fin-mai (huit degrés au soleil), homard et clam chowder. Dans le Vermont, deux vendeuses croisées par hasard plaisantent dans un français parfait à quelques encablures d'une marina que les cerisiers en fleurs colorent comme une toile. Dans le New Hampshire, la 302 traverse le White Mountain National Forest en zigzaguant de bosquet de conifères en ruisseau attendrissant. Quant au Maine, territoire de premières tout entier voué aux crustacés à deux pinces, il surprend par la richesse de ses micro-brasseries - et après plusieurs incursions dans divers États des USA, je n'ai plus de gêne à le dire : honte au Québec sur ce domaine ! qu'il ne prétende plus être amateur de bières. Reste à voir cette Nouvelle-Angleterre des Patriotes sous les couleurs de l'automne, ainsi qu'à visiter Boston, patriarche de tous les peuplements du continent, la Ville-Histoire par excellence en territoire américain : autant de raisons de retourner dans ce beau nord-est atlantique.

Coup de gueule Voyages : Trois-Rivières !

Là, pour le coup, j'avais un peu joué avec le feu : un covoiturage aléatoire, aucun point de chute, aucun plan dans l'absolu, mais la curiosité quand même de découvrir la troisième ville de la province par sa taille, la deuxième par son histoire (avant-poste sur le Saint-Laurent bien avant la naissance de Montréal) et l'un des plus gros pôles universitaires de la région.

Les craintes relatives au logement furent rapidement supplantées par celles relatives au retour : pas question de traîner ici au-delà de quinze heures, le tour de la ville ayant déjà été effectué trois fois, incluant le réseau des bus dans sa quasi-intégralité et les quartiers presque désaffectés qui entourent la paroisse Sainte-Cécile. Tu ne la connais pas, hein lecteur, même si tu as visité Trois-Rivières, même si tu
vis à Trois-Rivières ? C'est que je l'ai arpentée ta jolie ville, je l'ai vu ton front de fleuve certes superbe, je les ai passées tes vieilles baraques de consulats et de chambres de commerce de l'époque où tu comptais sur un plan géopolitique. J'ai bien eu le temps en trois heures d'aller marcher ailleurs, c'était moins beau et je suis vite reparti.

mardi 20 décembre 2011

Ha l'entourloupe !

Chers amis, j'en ai appris une bien bonne ce matin.

Alors que je découvrais le très sympathique café
La Petite Cuillère en face du square Saint-Louis - grandes tables de bois rustiques et chaleureuses, baie vitrée et molletonneuse exposée au soleil, jeu de Monopoly niçois (sic) - mon ami Antonio me comptait sa mésaventure du jour, ou comment un faiblard Berri-Sherbrooke, le trajet en métro le plus inutile de la ville après l'infamant St-Laurent - Place-des-Arts sur la verte, a fini par lui coûter un bon 250 piasses.

En transit entre New York et Rome, peu désireux de tirer quelques dollars de plus pour son dernier jour au Québec, Antonio a décidé de tricher. Ne l'excusons point ! il connaissait les règles, il en a fait un choix, il a perdu en toute bonne grâce. Antonio a donc sauté le tourniquet à la station Berri-UQAM. Pour s'apercevoir aussi sec, à son grand dam, que l'itinérant qui squattait le banc hexagonal de la station la plus connue de Montréal n'était autre qu'un... agent de la STM en "civil", si tant est qu'itinérance et civilité sont encore liées, vêtu de quelque guenille (certes pas d'un torchon, disons alors d'un manteau en lambeaux) masquant à la perfection un costume bien réel de contrôleur de billets, tout ce qu'il y a de plus riche et sédentaire.

Haro sur les crosseurs ! certes. Les Québécois doivent bien rire lorsqu'ils descendent sous le réseau de la RATP, la gruge systématique s'étant muée en véritable sport national dans les tunnels qui font de Paris un gruyère. Combien de fois moi-même ai-je sauté, me suis-je cassé les dents contre un panneau latéral qui intercepte les mouvements en sens contraire, ai-je élucubré de combines, me suis-je fait passer pour un Ukrainien, créant de toutes pièces histoire et patrimoine après que mes yeux fureteurs se furent posés sur le Navigo de la pauvre Olga Tchevnakonia. J'aime, presque plus que tout dans le métro parisien, lorsqu'un passager - invariablement noir, la trentaine, grand et bien coiffé quoique l'air débrouillard, quelque part vers Marx-Dormoy ou Jean-Jaurès - me demande poliment l'autorisation de passer derrière moi. Ici, oui, nous parlons encore de civilité. Cela fait partie des codes, des traditions, d'un ensemble de valeurs peu ou prou partagées par la communauté des usagers. À Paris nous trichons, partout en France d'ailleurs : qui n'a jamais cherché à fuir la SNCF ? C'est entendu, outre-Atlantique, nous sommes de vieux crosseurs.

Mais à Montréal ? Là où lorsqu'on vous gifle, vous répondez encore pardon ? Là où la file d'attente pour le bus est la plus sacro-sainte des normes de bonne conduite ? Personne ici ne triche, à part bien sûr les Chinois, et je dis cela avec amour. Ce n'est pas dans les moeurs. La STM, elle, dans un sens, triche. Filouter les passagers, ou les
wannabe passagers bien sages à l'année longue qui se permettent un unique écart de conduite parce que la fatigue les accable, les tromper en feignant la mendicité quand l'île, hiver après hiver, croule sous les besoins en abris d'urgence et rondes de nuit, cela ne me paraît pas du meilleur goût.

Antonio a payé, et je ne peux que reconnaître qu'il a bien fait. Encore une fois, il a triché, s'est fait pincer, c'est
ben correc', c'est fair enough. Notre chère société de transports, elle, qui sera probablement nommée en 2011, pour la troisième année consécutive, "Best mass transit corporation in North America", justifiant sans justification une nouvelle hausse des tarifs pour la passe mensuelle, quand bien même depuis début décembre plus aucun bus n'arrive à l'heure, notre chère STM, elle, manque un peu de fair, de flair et de pudeur.

Voilà, c'était juste pour le dire. Dorénavant, méfiez-vous de l'itinérant qui somnole, oublié de tous, planqué derrière les tourniquets. Il n'a certes pas le képi, mais les insignes, elles, sont bien cachées contre son coeur.