Je n'ai jamais vraiment eu la télévision. Il y a si longtemps, et toujours si petite, si peu câblée, si inintéressante. Tout juste bonne à récupérer les résultats sportifs lorsque, étudiant, je rentrais tard le soir - bien entendu de la bibliothèque. Mes années chinoises, mes années canadiennes : rien à faire. Les soirées au bercail, c'est Internet, bouquins, repas.
Je commence néanmoins à comprendre la fascination qu'éprouvaient tous les ti flos de ma génération pour qui l'écran statique était proscrit à la maison. Ma mère ne m'a jamais interdit d'y rêvasser et je fus au premier rang sous le rouleau terrible des mangas qui déferla sur la France à la fin des années 1980. Mes résultats scolaires n'en pâtirent pas : j'étais brillant étant petit (c'est d'ailleurs probablement depuis que la bière à remplacé les dessins animés que mon cerveau est parti en vacances), mais rien ne prouve qu'elle n'aurait pas pris des mesures plus sévères en cas de décrochage scolaire. Nombreux furent pourtant les enfants de mon âge qui, lorsqu'ils venaient passer la fin de semaine à la maison, lorgnaient d'un oeil avide le poste du salon. Telle la Méduse de la légende, il joue de l'ambivalence : on sait qu'au premier regard il nous figera instantanément, qu'il nous pétrifiera et que le seul moyen de le vaincre est de le contourner, de l'abattre froidement d'une bonne pression sur la zapette tout en gardant les paupières closes.
Je commence néanmoins à comprendre la fascination qu'éprouvaient tous les ti flos de ma génération pour qui l'écran statique était proscrit à la maison. Ma mère ne m'a jamais interdit d'y rêvasser et je fus au premier rang sous le rouleau terrible des mangas qui déferla sur la France à la fin des années 1980. Mes résultats scolaires n'en pâtirent pas : j'étais brillant étant petit (c'est d'ailleurs probablement depuis que la bière à remplacé les dessins animés que mon cerveau est parti en vacances), mais rien ne prouve qu'elle n'aurait pas pris des mesures plus sévères en cas de décrochage scolaire. Nombreux furent pourtant les enfants de mon âge qui, lorsqu'ils venaient passer la fin de semaine à la maison, lorgnaient d'un oeil avide le poste du salon. Telle la Méduse de la légende, il joue de l'ambivalence : on sait qu'au premier regard il nous figera instantanément, qu'il nous pétrifiera et que le seul moyen de le vaincre est de le contourner, de l'abattre froidement d'une bonne pression sur la zapette tout en gardant les paupières closes.
Désormais montréalais, un peu masochiste probablement, je ne cherche plus à me battre mais au contraire m'écroule sur les sofas et fixe, l'oeil hagard, la télé dès qu'une occasion se présente. C'est fascinant ! c'est addictif ! Car il ne s'agit pas seulement de pouvoir enfin ingurgiter un contenu intellectuel généralement prémâché et fort peu interactif (étant moins exigeant, ce média nous permet de consommer à effort égal une plus grande quantité et donc nous satisfait davantage) ; cela va bien plus loin, c'est la boîte de Pandore de toutes les sociétés, le tabernacle qui recèle tous les trésors de la culture populaire, les célébrités, les chansons de variété, les produits de grande consommation que j'ignore, terré dans ma chaumière coupée du 21e siècle. Mon samedi soir à Toronto par exemple ? je me suis jeté sur le lit de ma chambre d'hôtel pour observer les Maple Leafs terrasser les Capitals, mais le vrai fonne dans cette histoire ce n'était pas tellement le hockey, ce furent les spots publicitaires qui entrecoupaient les périodes - automobiles, pick-ups, skidoos, un peu de bière et de Santa ; ce fut Don Cherry et ses costumes affriolants ; ce fut le générique même du Hockey Night in Canada, le logo de CBC en bas à droite de l'écran, la sensation d'appartenir enfin à quelque chose, d'être compris et accepté, dans mon isolement physique et social, par un bon dix millions d'autres Canadiens tout aussi isolés dans leurs salons de banlieue. [Il faut dire que mon hôtel à Toronto était en fait un motel de Mississauga, doté d'une superbe vue sur la highway.]
Ce qui est beau, toutefois, avec l'Internet d'aujourd'hui, c'est qu'entre les Cuevana, TVBlinx, Adthe et autres merveilles - légales? illégales ? - du online streaming, plus besoin de télévision pour se tenir au courant. Ainsi hier soir encore en cuisinant ma soupe, j'écoutais tranquillement les Canadiens se faire blanchir par Tim Thomas (quel gardien, quand même !), ce qui m'a permis de constater que les publicitaires étaient décidément plein d'humour: un peu moins de neuf mois après sa violente mise en échec qui valu à Pacioretty presque la mort, et trois jours à peine après que la police ait levé toute possibilité de poursuite au pénal, Zdeno Chara fêtait son retour en ville avec un spot expliquant aux enfants quelques conseils de base en matière de sécurité - car, insiste-t-il, "il est primordial de se protéger sur la glace". Je suppose que les partisans canadiens apprécieront.
Autant que ça, vraiment ? J'avais toujours été stupéfait de la capacité qu'ont ces soap opera à attiser à ce point les passions, jusqu'à ce que je me décide enfin moi-même à suivre, de bout en bout, une série télé. Allez savoir pourquoi, le hasard c'est entendu, c'est un programme de CBS, How I Met Your Mother, qui fut le sujet de mes expériences socio-visuelles. Et le résultat fut plus violent qu'escompté : maintenant que j'ai rattrapé six années de retard, terminé de regarder tout ce qui est disponible en ligne, je me rends compte à quel point la structure narrative, les personnages, les anecdotes et les répliques choc de sept saisons de bières dans un bar de Midtown ont transformé ma façon de vivre. À l'été 2010, je me suis Barneyifié le temps de quelques semaines ; j'invoque des épisodes et des passages clés dans la moitié de mes conversations, le plus souvent avec des êtres féminins dans un processus de séduction qui devrait exclure de tels propos, et j'ai déjà probablement cité la série ou intégré des liens hypertextes dans le présent blogue une dizaine de fois. Si je n'en avais pas honte, j'ajouterais que je me suis empressé, quinze minutes à peine après avoir posé les pieds dans New York, d'aller dénicher le MacLaren's Bar où se joue l'essentiel de l'intrigue : voilà pour ce qui excitait le plus ma curiosité dans la Ville des Villes. Et la Ville m'a puni : je ne l'ai même pas trouvé.
Ce qui m'a fasciné néanmoins, avec les sitcoms, c'est l'affection qu'elles parviennent à générer dans le coeur des téléspectateurs pour des personnages fictifs mais présentant tous les attributs de l'ami ou du groupe d'amis dont on rêve. Ils sont physiquement attractifs, drôles, comme le sous-entendent les rires enregistrés, bavards, du moins le rythme soutenu de ces séries, composé d'ellipses permanentes, laisse à penser que jamais ne s'installe entre eux un silence trop pesant. Leurs histoires sortent légèrement du commun, suffisamment romantiques pour nous faire rêver mais jamais trop irréalistes pour nous exclure totalement. Surtout, ô grâce de la non-interactivité, nous ne nous disputons jamais : ils épanchent leur coeur comme au plus intime des confidents, encore que comme tous vos amis l'ont vu aussi la veille, vous avez toute latitude pour bitcher à leur égard le matin dès dix heures. Et l'un dans l'autre, puisqu'ils ne restent que des personnages enregistrés sur une bande vidéo, insensibles au passage du temps, susceptibles d'être joués et rejoués à loisir, point de trahison : ils sont toujours présents pour vous, dans les moments les plus noirs et les plus solitaires. Maintenant que je n'ai plus de nouvel épisode à dévorer, je traverserai probablement tout l'hiver à repasser des anciens. N'était-ce pas pour Friends justement, que Green Day chantait I'll be there for you?