Avec le mois d’octobre splendide que gente Dame Nature nous a offert – l’été des indiens le plus doux depuis des lustres ? – j’ai été pris de nouvelles envies qu’on pourrait qualifier de sylvestres et, en l’espace de quinze jours, je me suis payé deux fins de semaines allongées « en forêt » pour observer la robe chatoyante des arbres dans Charlevoix, puis la froide splendeur gris-métal des gratte-ciels dans la jungle architecturale de Manhattan. Qui l’eut cru ? moi l’éternel enfant des villes, élevé au bitume des parkings sous-terrains sur lequel j’affinais mes patins à roulettes, c’est pourtant la nature exubérante, la collision des formidables forces de l’eau et du vent, qui m’a le plus séduit. New York ? Pfft !
Ainsi pour l’action de grâce, comme Felix Leclerc, j’ai été faire le tour de l’île. Ça m’a sans doute un peu moins plus qu'à lui, ou peut-être trop mais, justement, c’est si tranquille, ces 42 miles, que tout Québec s’en est venu ; Chemin Royal : de Sainte-Famille à Saint-Laurent, 42 miles d’autos collées pif au derrière, à tel point que chacune des fermettes ou épiceries du glorieux patrimoine agricole local, fromages à rôtir, chocolats, cidres et liqueur de cassis, se la joue Centre Bell, emplacements numérotés et placiers de circonstance à dossards orange fluo. On se serait cru un soir de série !
Pourtant, qui dois-je blâmer autre que moi, d’être allé foncer tête baissée dans l’un des coins les plus visités de la région alors qu’un improbable automne nous accordait un 25 degrés plein de soleil et de ciel bleu ? Et certes ce fut en tout point admirable pour observer les Couleurs, la grande célébration annuelle des Canadiens dans leur nature chérie, sorte de Thanksgiving animiste remerciant les beaux arbres plus que les autochtones, mais Dieu sait qu’ils sont beaux ! (Aparté rapide : je tombai la semaine passée sur un long et passionnant article d’un AdBusters de 2007 intitulé « What is Canada for? », dans lequel un sociologue de Vancouver expliquait comment le Canadien standard se croyait, dans son approche de lui-même et dans la perception de soi qu’il offre au reste du monde, intangiblement et nécessairement lié à la nature sauvage, indépendamment de son respect ou non pour l’environnement ; il est vrai que les scandales environnementaux et les dérèglements agroindustriels abondent dans ce pays encore si vierge… du moins dans le regard européen. Tout cela pour conseiller donc à ceux que l’anglais ne rebute pas la [re]découverte de ce très bon fanzine).
Et si l’île d’Orléans m’a moyennement séduit, la route du fleuve dans Charlevoix, là où le Saint-Laurent, dans le dialecte local, devient « la mer » sans en démériter l’appellation, alors là, oui, ce fut formidable. Saint-Féréol, Petite-Rivière, Baie Saint-Paul, le Cap-aux-Oies : quelle merveille pour la rétine, quel déchirement fulgurant du rouge le plus amoureux, de l’or le plus scintillant sur un ciel azur profond comme l’espace qui s’étend sous la main, le long du cours d’eau le plus large peut-être de l’hémisphère nord. Lorsque l’on quitte la 138 et que l’on se laisse descendre, tous freins tirés à cran, sur la côte abrupte de Rivière-Saint-François, on échoue sur une jetée taillée à grands coups de pioche dans le bonheur même : l’océan presque est devant soi, un vent entêtant vous décoiffe puis vous dénude, on cherche rapidement un abri dans sa voiture hermétique et si chaude et lorsque l’on se retourne ce sont toutes les collines du Québec qui vous surveillent chaleureusement dans leur manteau aux teintes rastafari. On vogue doucettement dans des paupiettes d’argent, dans un cotonneux nuage d’émerveillement. Charlevoix en octobre, c’est comme être sous mescaline au réveil, les crampes au bide en moins. Les couchers de soleil y sont faramineux, les maisons parfois croches en le revendiquant, les citrouilles célébrées comme il se doit à l’approche d’un Halloween qu’on imagine rustique et supersized.
Et puis… la gentillesse des gens ! le charme, la ruralité rassurante de leur accueil ! Ce blogue ne se veut aucunement guide de voyage ni plateforme publicitaire, mais courrez donc ici, c’est une formidable petite auberge dont vous me direz des nouvelles, tenue par un couple adorable ancré dans la région depuis Samuel de Champlain ou presque, qui l’a retapée et décorée d’un goût chiche et bon, et qui vous y prépare des déjeuners familiaux à ne plus vouloir quitter la table. Pourtant lorsque l’on descend jusqu’à la toute proche plage de la Petite-Malbaie, c’est un ahurissement nouveau qui vous saisit, et la perspective de longer toute cette côte du fleuve, qui s’avère ferrée, dans quelque wagon chaud du plus grand romantisme.
Quant à Manhattan, c’est en célibataire que je l’ai abordée, cela jouait peut-être, encore qu’il ne m’a point fallu de blonde pour faire de Paris la mienne, les quelques dix mille après-midi que je l’ai arpentée, embrassée, montée (la Butte évidemment), pénétrée (les tunnels de Ménilmontant), piétinée (chacun ses fantasmes), bouffée des yeux et carressée avec passion. Mes premières promenades new-yorkaises, pour aériennes et maritimes qu’elles furent, ne m’ont point encore transcendé, les vingt et quelques millions de fiers Yankees qui la peuplent ne me sont point apparus – mais où diantre se cachent-ils ? -, la ferveur légendaire du soutien qu’ils portent à leurs équipes, certes en plein lock-out NBA, m’a paru assez fade et le premier hot-dog que je commandai, excité, au pied du Rockefeller Center, me fut chargé 5 dollars. Tant mieux : j’ai rapidement repris mes réflexes de la Chine et marchandé ferme pour les bretzels, sous l’œil amusé des marocains et albanais qui tiennent tous ces merveilleux petits stands de nourriture de rue qui rappelent Bangkok.
Et de fait, s’il y a bien une chose qui occupa activement ces trop courtes heures, ce fut un intensif magasinage ! Qui a nié que New York était la capitale mondiale des shoppers et de leur mutation extrême les shopaholics? Des Woolberry Outlets à la 5e Avenue, le mouton de Buy-Urge (ouh, that’s a nice one!) qui se cachait en moi s’est re-bêêêlé, et j’abdiquai ma fourrure monétaire pour quelque plus douce et plus tendance fourrure labellisée. Pyjama Jackies, chocolats Godiva, le Disney Store bien entendu, mais la grande nouvelle pour le tout Manhattan – et les boroughs aussi, assurément – c’était l’ouverture, après d’interminables années d’attente, d’un immense UniQlo sur la 5e, juste en face des Cartier et Versace. La mode japonaise à petit prix pour concurrencer le grand luxe ? La vraie révolte des indignés n’était pas dans Wall Street mais ici, dans le sanctuaire des marques. "Occupons l’UniQlo !" ont crié les jeunes de l’Amérique, et assurément c’était fou, les néons, les enseignes lumineuses, les cris et les files d’attente, quoi donc, pour un tricot rayé à douze piasses ? Mais ma p'tite dame, il est isotherme et à ce prix-là, ce serait criminel de refuser. Le magasin, à mon avis, n’a pas désempli depuis.
Pour revenir sur le poète des débuts de cet article, le plus bel hommage à Felix Leclerc qui m’ait été donné de vivre n’avait rien à voir avec sa tombe perdue dans le petit cimetière de l’île, en face de St-Anne-de-Beaupré et sa pachydermique cathédrale, tombe que les touristes ignoraient gaiement à mon immense surprise, friands qu’ils étaient d’aller toucher les cerfs et s’imbiber de gastronomie orléanaise, mais deux semaines plus tard lors d’une touchante soirée de contes donnée à la Maison de la culture Frontenac par les semblerait-il cultissimes Kim Yaroshevskaya et Jocelyn Bérubé. Lorsque ce dernier partit d’une longue histoire mignonne sur quelque épi de maïs heureux d’en terminer avec l’été et la vie si c’est pour devenir le pain, indispensable à l’homme, et que les dernières paroles de son récit entamèrent dans un fondu enchaîné délicieux les premiers vers de l’Hymne au Printemps, alors toute la salle – comble ! je suis miraculeusement rentré avec le billet de réserve n .54 – entonna d’un seul chœur la chanson, sourire en bouche assurément, et larme à l’œil. Ah que c’est parfois formidable de vivre dans un quartier de vieux, d’observer ces quelques résurgences tenaces de la grande histoire francophone du Québec et de sentir un tel amour pour le bon mot dans le cœur des vieilles dames !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire