samedi 12 novembre 2011

C'est donc si dur la trentaine ?

J'ai été écouté ce soir, sur un coup de tête, l'un des films qui m'aura le plus démoralisé de ma vie, surtout en cette période, de plus en plus longue et douloureuse, de crise de la trentaine, de quête de ma place véritable dans le vaste monde des adultes. Sur un coup de tête, car c'est avec trois pintes du St-Bock et bien peu de solide dans l'estomac que nous avons décidé, ma compagne d'un soir et moi-même, de courir au Quartier Latin pour la dernière séance de l'un des gros buzzs francophones du moment. Fort mauvaise idée - c'est le dernier film que vous souhaitez écouter en la compagnie d'une jeune fille bien aimable : car passées les cinq minutes d'excitation provoquées par le sprint, le sang affluant dans les membres et le coeur tambourinant, Café de Flore a tôt fait de me remettre à ma place. Rapidement, je tournais mes genoux à l'opposé total de la salle, me tassais dans mon fauteuil et me prenais la tête à deux mains. Café de Flore, c'est une torture que même les Chinois, généreux en la matière, n'ont pas su inventer ; c'est une succession terrible de coups de poignard, à l'estomac, dans la poitrine, jusque dans la face, dans le blanc des yeux, là où l'on peut triturer, là où ça fait le plus mal. L'amertume de la bière aidant, j'ai hésité à chaque transition entre deux scènes à aller vomir tripes et boyaux, me raccrochant à la musique comme on s'accroche au bastingage, mais celle-ci me faisait voltiger pis encore que l'océan.

Du réalisateur Jean-Marc Vallée, j'en étais resté à C.R.A.Z.Y., dont je m'étonne de n'avoir point encore parlé ici, et qui est indiscutablement le meilleur film de l'histoire du cinéma québécois.


Cinq ans plus tard, de Vallée, on retrouve les mêmes prises subaquatiques, les mêmes gros plans sur des regards perdus, hagards, les mêmes bagnoles classieuses et la même passion pour les années 60, les mêmes jeunes éphèbes presque androgynes et coiffés comme Bowie, le même casting formidable - Vanessa Paradis, exceptionnelle en mère monoparentale éprouvée, pour remplacer l'exceptionnel Michel Côté en patriarche non moins éprouvé - et surtout la même bande sonore puissante, envoûtante, du Pink Floyd trois fois, quatre fois, cinq fois, du Sigur Ros, une étonnante reprise de Noir Désir. 

Pour le reste : Vallée était perdu dans son adolescence, nostalgique d'un passé presque champêtre et fort drôle lorsque le rock'n'roll fit irruption dans la bonne morale familiale et chrétienne du Québec des villages ; il se cherchait une identité, une sexualité, un rôle en tant que jeune adulte. En 2011, Vallée a passé ce stade-là. Adulte, il l'a été, l'a vécu, en a joui et en a souffert. Et pour notre malheur, dans sa seconde jeunesse, accablé du poids des responsabilités - élever deux gamines, s'inventer une issue face à la mort - il se cherche toujours et s'effondre. Il en a pris plein la gueule et nous en fout tout autant. Chaque seconde qui passe, en cris étouffés, disputes parentales, ellipses parfois un peu faciles sur des accidents qu'on voit venir du haut de la colline, il recrache un peu plus sa douleur et sa difficulté à vivre dans le monde des adultes.

Le synopsis est ambitieux : Vanessa Paradis donc, en mère célibataire d'un petit trisomique dans le Paris des années 60 ; Hélène Florent et Kévin Parent en couple détruit, qui cherche à se reconstruire, dans le Montréal d'aujourd'hui. Entre les deux un lien pas évident pendant soixante-quinze minutes, puis qui vient se ficher dans votre coeur comme une dague jetée par quelque imparable samouraï. Ma partenaire d'activité en a longuement pleuré, tandis que je me démontais les phalanges, m'arrachais les poils de la barbe - j'étais pourtant rasé du matin et ce fut fort douloureux.

Ah le vieux salaud ! c'est qu'il en sait des choses sur la vie. Tout dans Café de Flore comme dans C.R.A.Z.Y. transpire la réalité, le vécu, le subi. La douleur d'une rupture, l'embarras des retrouvailles, les hésitations pesantes à recommencer l'amour, à se laisser reprendre. On se crispe du début à la fin sur tous ces petits moments qu'on aurait aimé laisser derrière soi, qui certes vous donnent la force d'être ce que vous êtes aujourd'hui, au prix qu'ils ont coûté. Des moments douloureux, on en a tous vécu à nos vingt ans, les raconter aujourd'hui nous font sourire béatement ; ceux qui viennent par la suite, ma foi, j'en sourirai peut-être à cinquante ans, mais crime ! que cette séance fut intense. C'est indiscutablement un très grand film, à ne voir assurément que quand le mood y est. La balade du retour, dans le grand vent d'Hochelaga en ce premier moins cinq de l'année, m'aura on ne peut mieux débarbouillé.



Quant à Vanessa Paradis, mon dieu ! quel chemin parcouru depuis Joe le Taxi.

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