mercredi 16 novembre 2011

La danse québécoise, vraiment ?

Ce qui est chouette, avec le programme du Conseil des Arts en tournée, c’est que j’ai enfin la chance de découvrir tous ces spectacles desquels j’ai fait la promotion en novembre dernier, recevant en avant-première des visuels qu’il fallait systématiquement retoucher, des textes introductifs qu’il fallait systématiquement corriger, afin que quelques dizaines – dans le meilleur des cas – de diffuseurs étrangers s’en aillent assister avec une moue suspicieuse ou ennuyée à un work in progress affligeant, sans que pour ma part je ne puisse jamais en voir un. C’est la magie des grands marchés d’art internationaux. Un an plus tard, preuve que le travail accompli ne fut pas tout à fait vain, la plupart des Maisons de la culture de la ville proposent donc compagnies de danse et de théâtre locales à frais zéro. Ce serait trop bête de s’en priver, même si les choix que l’on fait ne sont pas toujours les bons. Mais l’accumulation d’expériences n’est-elle pas la meilleure méthode pour déterminer au mieux ce, celui, celle qui nous plaira vraiment ? (oui, lecteur religieux intégriste, si tu me lis, ce dont je doute, oui, je fais subrepticement référence à la multiplication des rapports sexuels pré-maritaux).


Ce qui est certain en tout cas, c’est que INK et le Porte-Parole, dont vous trouverez quelques présentations dans la catégorie « Théâtre » ci-contre, sont bien davantage de mon goût que Paul-André Fortier et Tony Cheung. Ou peut-être tout simplement mon cœur balance-t-il désormais plus pour le théâtre que pour la danse ? 

Fortier et sa Cabane, je les connaissais donc depuis CINARS, et je dois avouer qu’en novembre 2010 déjà ils m’intéressaient peu. J’avais néanmoins échangé quelques propos intelligents sur leur stand, suffisamment pour me donner envie ce printemps de lui laisser une chance. Les goûts et les couleurs sont tous dans la nature, paraît-il, et je ne le discuterai pas ; d’ailleurs une camarade dudit marché me confirmait récemment avoir aimé Cabane (peut-être pensait-elle encore au magnifique chalet d’un ami dans la campagne environnant La Tuque, à de douces promenades en raquette dans la neige blanche et pure). Le show que j’ai vu, lui, n’avait rien de bucolique et transpirait la pauvreté : chorégraphique, scénographique, humoristique même malgré quelques tentatives de faire rire. De fait, il ne m’a pas semblé qu’on y danse une seule fois, quoi qu’on y produise grand bruit. On remarquera toutefois l’extraordinaire créativité du simili-instrumentiste Rober Racine et cette scène admirable, principal coup de force du spectacle, où il parvient à imiter un opéra de Pékin à l’aide d’un unique sommier métallique. Chapeau bas pour celui-ci.

Le principal point commun avec le spectacle de ce soir, Désillusions de l’Enchantement, fut le nombre de spectacteurs enclins à bailler, soupirer lourdement, voire quitter leur fauteuil longtemps avant la fin. Il s’agissait pourtant plus strictement de danse, ce qui, un temps, m’aurait ravi ; d’autant que le concepteur de la pièce présentait beau. Or si, dans le vivier des chorégraphes chinois de Vancouver, j’ai particulièrement apprécié le travail de Wen Weihui l’an passé, celui de Tony Cheung ici m’a beaucoup moins séduit. Les deux premières piécettes marquent le ton : on s’ennuie ferme, malgré des rapports charnels d’une très grande sensualité entre une femme et deux hommes. Chemises déchirées se relevant sur les cuisses, ménages à trois intimes et resserés, abandon de la femelle épuisée sous les coups de butoir et l’odeur de sueur des deux jeunes cerfs en rut. Sensualité pour le moins provocante, à vrai dire provoquée et contenue dans le thème même : le pouvoir sexuel de la femme dans la société moderne via le prisme des contes de Grimm. Bon. Pour une relecture de Blanche-Neige à base de pas de deux, excitante et fascinante, « tutus » Jean-Paul Gaultier, on avait Preljocaj.


Le troisième volet du triptyque n’est pas inintéressant ; il remet en perspective les deux premiers – la femme est désormais seule, décrépite, malheureuse sans l’homme pour la séduire – et semble confirmer la terreur qui existe dans le cœur de si nombreuses amies, celle de vieillir avant l’heure, de faner telle une fleur des champs dès la trentaine atteinte, de perdre inexorablement de son aura à mesure que le corps se ride, que les seins s’avachissent. Carol Prieur est terrifiante dans ce rôle, horripilante aussi mais c’est Tony Cheung qui le veut, admirable dans sa capacité à vieillir à vue d’œil, à se liquéfier pas à pas, à prendre cent cinquante ans en une expiration, lorsqu’elle s’avance vers le premier rang l’index tremblant, les jambes affaissées, les cheveux sur la face – des cheveux que soudainement on jurerait gris, tombant à pleines poignées.

C’est un peu le seul passage captivant de la création. Pour le reste, elle confirme mes
soupçons d’il y a un an, à savoir – pour résumer l’article : 1/ Lorsque l’on a touché du doigt la perfection, difficile de ne pas considérer le vaste reste du monde comme du pur amateurisme. 2/ La danse sans musique est tout sauf de la danse. 3/ Le son du violoncelle reste ce qui se prête le mieux à la gestuelle contemporaine. Oui, mais la BWV 1068 de Bach ? Voyons, cela a été vu et revu ; même les Destiny’s Child y ont cédé. Trop facile.

C’est donc bien le théâtre désormais qui m’émeut, m’interpelle, me bouleverse. Le théâtre sans doute parce qu’il reste les mots, comme dans la danse je prie pour qu’il reste la musique. Peut-être que dans le fond j’ai peur des corps, peur des visages, peur des silences. La magie du bon mot, elle, est suffisante mais nécessaire pour m’arracher des larmes, comme les alexandrins en premier, loin dans ma jeunesse, ont su le faire, par leur métrique implacable, leur sens du rythme et l’intuition avec laquelle un objet plus qu’un autre vient poser ses valises tout au bout de la ligne. Dans cette veine-là, Woody Allen, peut-être parce qu'il est juif, sait assurément choisir les bons ; il m’a enchanté hier soir dans son dernier opus, à la gloire des artistes qui vivent dans leur monde, l’excellentissime Midnight in Paris dont voici - SPOILER ALERT - un extrait cultissime.

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