Ne perdons pas de vue que le but initial de ce blogue était - très égoïstement et avant que tu ne commences à le suivre, brave Lecteur Inconnu - de conserver dans un petit coin de ma tête, dans un petit coin de la sphère, le détail des spectacles zet excursions qui auront fait mes nuits, mon bonheur et ma vie, pour le meilleur et pour le pire. Or voici venue l'époque des bilans annuels, pénétrez dans le premier MultiMags venu pour vous en rendre compte, et je ne couperai pas à la tradition en revenant creuser, pour mon propre bagage, le souvenir de ceux et celles qui m'auront bouleversé en 2011.
Coup de coeur théâtre : à égalité Octobre 70, de Martin Genest et Mille Anonymes, de Daniel Danis
Deux compagnies, deux metteurs en scène bien d'ici pour célébrer une année au cours de laquelle j'aurai enfin pris conscience du potentiel immense que recèle le théâtre québécois. Débarqué au Canada armé d'une passion quasi compulsive et essentiellement mono-tâche pour la danse néo-classique, doublée d'une grande ignorance de la plupart des choses du théâtre, j'ai eu tôt fait de me réjouir devant la vitalité, l'humour, la puissance des écrits et du jeu des professionnels des planches de ce côté-ci de l'Atlantique. Et c'est, une fois n'est pas coutume, le FTA qui m'aura le mieux comblé à cet égard.
Octobre 70 où une relecture de la crise du même nom, du film de Falardeau, de toutes les archives politiques de l'époque, dans une mise en scène grandiose, tant par son originalité que par ses dimensions, puisque c'est du quatrième étage de massifs gradins de chantier que j'ai observé, partagé, souffert les interrogations d'une bande de jeunes qui, poussés par des idéaux qui rapidement les dépassent comme ils dépassent toujours tous les hommes, en viennent à commettre le pire : tuer pour des idées. C'est haletant, peut-être plus pour le néophyte qui y redécouvre de grands pans mal pansés de l'histoire du Québec ; c'est truffé de phrases extrêmement fortes dont je n'ai plus, huit mois plus tard, le souvenir, si ce n'est qu'en retrouvant à la sortie quelques amis aux tamtams de Jeanne-Mance, je n'ai pas réussi à articuler le moindre mot durant près d'une demi-heure. Un état de choc terrible.
Mille Anonymes est à la fois aux antipodes et dans le sein même de Octobre 70. Profondément politique sans être ancré nulle part, profondément québécois quoique résolument pas montréalais, puisqu'on évolue quelque part dans le nord minier et abandonné du pays, voici un spectacle tout à fait chamboulant : on démarre en se disant très fort que ça va être long, qu'on aimerait déjà sortir, et l'on finit par sortir bien trop tôt en en redemandant. Il faut dire qu'une pièce dont le dialogue est troué comme du gruyère a de quoi décontenancer : les phrases démarrent, ou se poursuivent sans démarrer, et vous laissent là, désemparé, avide de plus de sens, même si ce dernier est parfois trop bruyant, légèrement cliché, dans l'absence de mots trop évidents.
Ce qui m'a enthousiasmé chez Daniel Danis, c'est surtout cette inventivité superbe au niveau de la gestion des décors, de l'interface des acteurs avec leur environnement, la façon dont la scène évolue et se change non pas dans l'obscurité d'un bref entracte mais au gré de chaque pas des personnages, comme dans le sublime Voyage de la compagnie de l'Avant-Pays. Ici, dans la noirceur la plus glauque de la vie humaine, de la vie des mineurs, de la mort des mineurs, au milieu de l'hiver, du métal et des loups, de gigantesques panneaux latéraux vont et viennent dans toutes leurs couleurs brutales et effrayantes, des objets presque toujours froids, métalliques, obtus, quelques fourrures seulement, sous lesquelles on découvre l'amour, animal pourtant lui aussi. Et cette sinistre voix de crécelle, qui narre une histoire inutile envolée dans le vent, perdant ses mots au fil des mots, ne laissant que l'angoisse, une angoisse dont pourtant on sort émerveillé, rassuré peut-être parce que dehors c'est juin, c'est Montréal, c'est le temps pour une bière.
Coup de coeur Danse : S'Envoler, de Estelle Clareton
Alors là ! moi qui crachotais gaiement sur la danse contemporaine québécoise, infiniment trop surcotée à mon goût, j'ai retrouvé sur une seule courte pièce - moins d'une heure - tout le bonheur que j'éprouvais à Pékin devant les grandes compagnies européennes en tournée.
Clareton, certes, est française. Mais elle n'était pas même majeure lorsqu'elle a débarqué aux Ballets Jazz, on peut donc bien la considérer comme québécoise. Ses danseurs le sont de toutes façons, son collaborateur musical, Eric Forget, aussi : c'est d'ailleurs lui qui donne le ton, d'un petit battement de coeur émoustillamment électronique pour donner vie à un grand tapis de danse plongé dans le noir. Entrent alors, parfaitement en rythme et avec un humour formidable, tout le groupe des interprètes : une vraie troupe de pingouins, déhanché subtil, piétinement dérisoire, mouvements de tête saccadés à l'image des pigeons. C'est tellement bien coordonné qu'on croirait le Ballet Central de Chine, et pourtant c'est si organique, si animal, si plein de vie et de bordel qu'on se sent euphoriquement libre, apte à s'envoler nous aussi avec eux. Il faut dire qu'ils sont beaux, et sexys ; tous, hommes comme femmes, pas un des danseurs ne m'a laissé indifférent, et Clareton en joue, le loup pénètre dans le volailler, c'est sensuel, presque érotique tout en restant drôle et attachant. Tout ça lui a valu l'honneur de représenter en plein air au Théâtre de Verdure du Parc Lafontaine un peu plus tard dans l'été, et c'est fort mérité. Estelle Clareton : retenons bien ce nom !
Coup de gueule Arts vivants : tout le reste de la programmation au FTA
C'est toujours le risque avec les festivals un peu edgy, dont la marque de fabrique - et le FTA la revendique comme sienne - est d'aller chercher des spectacles qui ont fait parler plus pour parler que pour leurs qualités intrinsèques. Mais sérieusement ? Le Festival TransAmériques 2011 ? Hormis les trois spectacles ci-dessus, qui sont par ailleurs quasiment les trois seuls spectacles québécois de la quinzaine, tout le reste est à jeter aux orties, à commencer par les noms les plus grands.
Alain Platel et les Ballets C. de la B. ? deux heures épouvantables d'hétérophobie vulgaire. Chanti Wadge ? un travail chorégraphique aussi peu rigoureux que son sujet (une coréenne cherchant dans la forêt canadienne son rapport intime au monde), aussi plate que sa chorégraphe qui pourtant dénude sa poitrine sans raison sur la fin du spectacle, comme pour rappeler en désespoir le badaud qui partait. Lia Rodrigues et sa prétendue énergie des favelas ? une vague d'ennui plus que tout, des athlètes sans émotivité, et quatre vingt minutes de prouesse non dansée dans un silence total. Quant à Miguel Gutierrez, qu'il aille se carrer sa relecture du mythe de James Dean par la communauté queer de Brooklyn là où de toutes façons il nous dit très fort qu'il aimerait bien se la mettre : j'ai failli vomir en sortant d'un Conservatoire qu'on a décidément connu plus sage. Que plus personne ne vienne me danser en bobettes et jambes poilues sur les accoudoirs ou je tue.
C'est toujours le risque avec les festivals un peu edgy, dont la marque de fabrique - et le FTA la revendique comme sienne - est d'aller chercher des spectacles qui ont fait parler plus pour parler que pour leurs qualités intrinsèques. Mais sérieusement ? Le Festival TransAmériques 2011 ? Hormis les trois spectacles ci-dessus, qui sont par ailleurs quasiment les trois seuls spectacles québécois de la quinzaine, tout le reste est à jeter aux orties, à commencer par les noms les plus grands.
Alain Platel et les Ballets C. de la B. ? deux heures épouvantables d'hétérophobie vulgaire. Chanti Wadge ? un travail chorégraphique aussi peu rigoureux que son sujet (une coréenne cherchant dans la forêt canadienne son rapport intime au monde), aussi plate que sa chorégraphe qui pourtant dénude sa poitrine sans raison sur la fin du spectacle, comme pour rappeler en désespoir le badaud qui partait. Lia Rodrigues et sa prétendue énergie des favelas ? une vague d'ennui plus que tout, des athlètes sans émotivité, et quatre vingt minutes de prouesse non dansée dans un silence total. Quant à Miguel Gutierrez, qu'il aille se carrer sa relecture du mythe de James Dean par la communauté queer de Brooklyn là où de toutes façons il nous dit très fort qu'il aimerait bien se la mettre : j'ai failli vomir en sortant d'un Conservatoire qu'on a décidément connu plus sage. Que plus personne ne vienne me danser en bobettes et jambes poilues sur les accoudoirs ou je tue.
Mention très spéciale toutefois aux néo-zélandais de la troupe MAU (Lemi Ponifasio) qui m'auront plongé dans une sorte de bad trip qu'aucune drogue, à l'époque, ne m'avait jamais provoqué - pour le moins le souvenir me restera violemment dans le coeur : quelle noirceur ! quelle horreur dans le sens le plus absolu du terme ! une horreur magnifique il est vrai. Ô les horribles petits moines shaolin et leurs piétinements épileptiques. Ô l'horrible petite vieille ailée comme un angelot, hurlant comme un démon. Ô les horribles nuages de poussière soulevés par des briques fracassés sur des cranes. Et mon Dieu ! ô l'horrible bête humaine, l'homme chien, le chien bête, cette créature hideuse aux jambes disproportionnées et qui rode, sans jamais dire s'il vient vraiment pour de bon ou pour le mal. Brr...
Et maintenant, sur les routes !
Coup de coeur Voyages : la Nouvelle-Angleterre.
Peut-être parce que c'était ma première vraie excursion loin de Montréal en près de quinze mois. Peut-être parce que c'était mon grand retour aux États-Unis après quinze ans d'absence, le temps pour une adolescence de s'écouler, pour des idées gauchistes et anti-américaines bien typiques d'un jeune français de germer dans mon esprit puis de céder la place au désir de regarder, finalement, comment c'est pour de vrai, au-delà des médias. Peut-être parce que la Nouvelle-Angleterre, c'est la partie émergée de l'iceberg, les belles pelouses un bloc avant le bidonville, les quelques États les plus éduqués, les plus babas, les plus blancs du pays : fromages fermiers et marchés biologiques, auberges post-soixante-huitardes, drapeaux américains dans chaque cour de chaque superbe mansion de planches blanches, violettes ou vert pomme, petits ports de pêche chahutés par l'hiver persistant de la fin-mai (huit degrés au soleil), homard et clam chowder. Dans le Vermont, deux vendeuses croisées par hasard plaisantent dans un français parfait à quelques encablures d'une marina que les cerisiers en fleurs colorent comme une toile. Dans le New Hampshire, la 302 traverse le White Mountain National Forest en zigzaguant de bosquet de conifères en ruisseau attendrissant. Quant au Maine, territoire de premières tout entier voué aux crustacés à deux pinces, il surprend par la richesse de ses micro-brasseries - et après plusieurs incursions dans divers États des USA, je n'ai plus de gêne à le dire : honte au Québec sur ce domaine ! qu'il ne prétende plus être amateur de bières. Reste à voir cette Nouvelle-Angleterre des Patriotes sous les couleurs de l'automne, ainsi qu'à visiter Boston, patriarche de tous les peuplements du continent, la Ville-Histoire par excellence en territoire américain : autant de raisons de retourner dans ce beau nord-est atlantique.
Coup de gueule Voyages : Trois-Rivières !
Là, pour le coup, j'avais un peu joué avec le feu : un covoiturage aléatoire, aucun point de chute, aucun plan dans l'absolu, mais la curiosité quand même de découvrir la troisième ville de la province par sa taille, la deuxième par son histoire (avant-poste sur le Saint-Laurent bien avant la naissance de Montréal) et l'un des plus gros pôles universitaires de la région.
Les craintes relatives au logement furent rapidement supplantées par celles relatives au retour : pas question de traîner ici au-delà de quinze heures, le tour de la ville ayant déjà été effectué trois fois, incluant le réseau des bus dans sa quasi-intégralité et les quartiers presque désaffectés qui entourent la paroisse Sainte-Cécile. Tu ne la connais pas, hein lecteur, même si tu as visité Trois-Rivières, même si tu vis à Trois-Rivières ? C'est que je l'ai arpentée ta jolie ville, je l'ai vu ton front de fleuve certes superbe, je les ai passées tes vieilles baraques de consulats et de chambres de commerce de l'époque où tu comptais sur un plan géopolitique. J'ai bien eu le temps en trois heures d'aller marcher ailleurs, c'était moins beau et je suis vite reparti.
Coup de gueule Voyages : Trois-Rivières !
Là, pour le coup, j'avais un peu joué avec le feu : un covoiturage aléatoire, aucun point de chute, aucun plan dans l'absolu, mais la curiosité quand même de découvrir la troisième ville de la province par sa taille, la deuxième par son histoire (avant-poste sur le Saint-Laurent bien avant la naissance de Montréal) et l'un des plus gros pôles universitaires de la région.
Les craintes relatives au logement furent rapidement supplantées par celles relatives au retour : pas question de traîner ici au-delà de quinze heures, le tour de la ville ayant déjà été effectué trois fois, incluant le réseau des bus dans sa quasi-intégralité et les quartiers presque désaffectés qui entourent la paroisse Sainte-Cécile. Tu ne la connais pas, hein lecteur, même si tu as visité Trois-Rivières, même si tu vis à Trois-Rivières ? C'est que je l'ai arpentée ta jolie ville, je l'ai vu ton front de fleuve certes superbe, je les ai passées tes vieilles baraques de consulats et de chambres de commerce de l'époque où tu comptais sur un plan géopolitique. J'ai bien eu le temps en trois heures d'aller marcher ailleurs, c'était moins beau et je suis vite reparti.