Et surtout, surtout, de le partager avec d'autres...
Je vous présente : Bande artistique et Parfois dans la vie les choses changent, un spectacle fait par deux idiots (ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les artistes eux-mêmes), pour un public de grands idiots (très peu d'enfants dans la salle, aucun en fait), construit sur une réflexion pas idiote pour deux sous sur l'idiotie du monde - je suis lourd ? eh, c'est tout sur leur page d'accueil.
Des idiots certes, mais pas des manches : Émile Carey a quand même été jongleur pour le Cirque du Soleil et Le plus grand cabaret du monde ; la soprano Marie-Claude Chamberlant a chanté à Taiwan comme au FIJM ; surtout, les deux auteurs et interprètes de ce spectacle pas commun ont un sens inné du comique, de vraies têtes de... cons comme on les aime - RIP beau Jacques Villeret. Des clowns nés, qui transpirent la tristesse inhérente au métier - lire le superbe Smile at the foot of the ladder d'Henry Miller. Qui vous arrachent des larmes inexpliquées tant on ne sait si c'est de bonheur, de compassion, de pitié, de rire ou d'embrouillamini qu'on les pleure. Ce n'est pas donné à tout le monde de savoir à la fois séduire par son agilité - manuelle ou gutturale - et sa bouffonnerie. Le monde est trop peuplé de monomaniaques du talent, qui se prennent tant au sérieux qu'ils ne charment plus personne (pour ceux qui n'auraient pas compris, je poursuis l'auto-portrait critique entrepris à l'article précédent).
Nous avons donc sur scène un homme à la drôle de mine, trois couteaux et sept balles, une femme à la garde-robe aussi longue que sa langue est pendue, des parapluies roses, un aspirateur, un ténor de cire, un ordinateur et une cloche. Ça tourne souvent autour du sexe, ça ne tourne souvent autour de rien du tout, si ce n'est la poitrine des acteurs si l'on considère les objets qui voltigent les uns après les autres. De la musique russe, du lyrique et des clochettes. Et une sacré tranche d'humour. Lorsque l'on secoue tout cela, on obtient, condensé ici en une minute trente, un bien touchant spectacle :
Décidément, plus les années passent et plus j'éprouve le besoin de remonter le temps, d'oublier ma pesante condition d'adulte. Dès que l'adolescent découvre la philosophie, mouillant son pantalon comme un cochon son auge lors qu'il comprend être devenu homme, appréhendant la demi-douzaine de concepts inutiles que les gens sérieux ont crû bon de définir comme les fondements du monde - Dieu, la mort, les applications Mac, l'économisation de la société - il perd son innocence. Brutalement, comme une gifle en pleine face, comme un viol, un carton en moto. Il oublie soudainement l'essentiel - le rire, que les Bénédictins combattaient, que les instituteurs tuent dans l'œuf, qui pourtant marque la frontière la plus violente entre le singe et l'homme (celle-ci n'étant ni dans la masturbation, ni dans la conception d'outils), le rire que les Chinois emploient sans rire pour mieux rendre la face en cas de pépin grave. Rions alors, mais de bon goût, à coeur ouvert, à en perdre le souffle, rions à en pleurer car ces larmes là sont d'or. Rions et soyons idiots. Il avait toujours raison, le grand Jacques.