mardi 27 juillet 2010

Que c'est bon d'être idiot !


Et surtout, surtout, de le partager avec d'autres...

Je vous présente : Bande artistique et Parfois dans la vie les choses changent, un spectacle fait par deux idiots (ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les artistes eux-mêmes), pour un public de grands idiots (très peu d'enfants dans la salle, aucun en fait), construit sur une réflexion pas idiote pour deux sous sur l'idiotie du monde - je suis lourd ? eh, c'est tout sur leur page d'accueil.

Des idiots certes, mais pas des manches : Émile Carey a quand même été jongleur pour le Cirque du Soleil et Le plus grand cabaret du monde ; la soprano Marie-Claude Chamberlant a chanté à Taiwan comme au FIJM ; surtout, les deux auteurs et interprètes de ce spectacle pas commun ont un sens inné du comique, de vraies têtes de... cons comme on les aime - RIP beau Jacques Villeret. Des clowns nés, qui transpirent la tristesse inhérente au métier - lire le superbe Smile at the foot of the ladder d'Henry Miller. Qui vous arrachent des larmes inexpliquées tant on ne sait si c'est de bonheur, de compassion, de pitié, de rire ou d'embrouillamini qu'on les pleure. Ce n'est pas donné à tout le monde de savoir à la fois séduire par son agilité - manuelle ou gutturale - et sa bouffonnerie. Le monde est trop peuplé de monomaniaques du talent, qui se prennent tant au sérieux qu'ils ne charment plus personne (pour ceux qui n'auraient pas compris, je poursuis l'auto-portrait critique entrepris à l'article précédent).

Nous avons donc sur scène un homme à la drôle de mine, trois couteaux et sept balles, une femme à la garde-robe aussi longue que sa langue est pendue, des parapluies roses, un aspirateur, un ténor de cire, un ordinateur et une cloche. Ça tourne souvent autour du sexe, ça ne tourne souvent autour de rien du tout, si ce n'est la poitrine des acteurs si l'on considère les objets qui voltigent les uns après les autres. De la musique russe, du lyrique et des clochettes. Et une sacré tranche d'humour. Lorsque l'on secoue tout cela, on obtient, condensé ici en une minute trente, un bien touchant spectacle :


Décidément, plus les années passent et plus j'éprouve le besoin de remonter le temps, d'oublier ma pesante condition d'adulte. Dès que l'adolescent découvre la philosophie, mouillant son pantalon comme un cochon son auge lors qu'il comprend être devenu homme, appréhendant la demi-douzaine de concepts inutiles que les gens sérieux ont crû bon de définir comme les fondements du monde - Dieu, la mort, les applications Mac, l'économisation de la société - il perd son innocence. Brutalement, comme une gifle en pleine face, comme un viol, un carton en moto. Il oublie soudainement l'essentiel - le rire, que les Bénédictins combattaient, que les instituteurs tuent dans l'œuf, qui pourtant marque la frontière la plus violente entre le singe et l'homme (celle-ci n'étant ni dans la masturbation, ni dans la conception d'outils), le rire que les Chinois emploient sans rire pour mieux rendre la face en cas de pépin grave. Rions alors, mais de bon goût, à coeur ouvert, à en perdre le souffle, rions à en pleurer car ces larmes là sont d'or. Rions et soyons idiots. Il avait toujours raison, le grand Jacques.

J'en reste de glace

À trop vouloir évoquer le Pôle Nord...

Après le brillant Réjean Ducharme, et dans un Soucy (haha) d’équité générique assez propre à ma nouvelle terre d’accueil, je souhaitai me pencher sur le versant féminin de la littérature québécoise, et jetai pour cela mon dévolu sur l’une des grandes dames du milieu, abondamment titrée pour ses deux premiers ouvrages : Monique Proulx.

La démarche m’intéressait en deux points : au-delà d’écouter la voix d’un auteur reconnu pour sa vision juste et touchante de Montréal et de ses différents quartiers, il s’agissait d’observer dans quelle mesure une société ouvertement proclamée féministe parvenait à produire une écriture de femme suffisamment riche pour atteindre le lecteur hautement misogyne que je suis (tant seules quelques fulgurances de Yourcenar et, éventuellement, le Virginia Woolfe le plus classique ont su m’émouvoir un jour).

Je me plongeai donc avec curiosité et enthousiasme dans les Aurores Montréales – dont le titre confirmait mon impression que pour publier un roman au Québec il faut nécessairement le baptiser d’un jeu de mots fumeux – recommandé par quelque sombre guide de voyages comme une parfaite introduction à mon port d’attache actuel. Je me méfierai à l’avenir des suggestions littéraires du Lonely.

Car Monique Proulx, de fait, c’est un peu la Ana Gavalda du Québec. C'est dire si elle fait l'unanimité. Une sorte d’ode à la légèreté, voire au vide, quand la littérature devrait n’être – flagellez-moi, ô ardents défenseurs de la modernité, pourfendez-moi, joyeux opposants à tous les réactionnaires du classicisme – doit n’être que lourde, pesante, ingrate, accrocheuse, éreintante, éraflante, sanguinolente, poétique ! Dans la légèreté de Proulx, il manque de la poésie, c’est cela. Ne confondez donc pas avec Proust. On est ici dans la littérature du cliché, de la facilité, de l’effleurement en surface. En vérité ces textes m’insupportent tant ils me renvoient à mes propres écrits, à leur vacuité et à leur absence de direction.

Proulx, suggère le Devoir, est une auteur de la contemplation. Les contemplateurs ne produisent pas, ou alors de la marde. C’est un peu mon problème. A trop retirer du plaisir dans l’observation passive de mes concitoyens, de leurs tourments bénins, de leur quotidien platte, à me persuader que c’est cela qui fait la vie, sa beauté et sa force, j’en ai toujours oublié de devenir parfois acteur, de cesser de n’aborder mon existence que comme un simple spectateur, aussi optimiste soit-il. On a un peu envie de donner des claques à Monique, de lui dire de sortir de sa cour à Outremont ou de sa terrasse du Mile-End, de l’envoyer passer trois mois en Haïti avant de parler des Haïtiens, de lui arranger une blind-date avec un vrai itinérant pour qu’elle parle mieux à la fois et des chiens et des hommes.

Les Aurores Montréales, fugaces et irréelles comme leur nom l’indique, sont une petite série de portraits souvent ratés de gens prétendument alpha cueillis ci et là sur les trottoirs de ma ville. Des moments de solitude, de complicité, de perplexité. On y retrouve souvent un peu du vrai, je le concède – tout comme dans les nouvelles fleur bleue de Gavalda ou dans un épisode de Friends. Accordons à l’auteur un certain sens de l’humour (comme ce récit de la lutte de "l'homo postnicotinus, le plus glorieux maillon de cette ère quaternaire", qui "soigne sa forme et ses RÉER", contre "la racaille où se fomentent les cancers du poumon") et une capacité à imaginer des chutes inattendues à des histoires pourtant très courtes. La plupart laisseront pourtant le lecteur sur sa faim. Si Proulx aborde par ailleurs avec gravité le douloureux sujet de la mort dans la moitié de ses histoires (mort du chat, d’une relation, de la mère – la pire de toutes), c’est souvent à l’aide d’un pathétique un peu facile, comme Denys Arcand l’a fait plus tard avec davantage de conviction.


Pour étancher ma soif d’aventure vraie, de nouveau baudelairien, de puissance castanédienne, je vais quant à moi m’en retourner à la littérature des hommes, et conserver du monde des aurores leurs cousines les plus mystérieuses : les boréales.


vendredi 16 juillet 2010

Retours d'enfance

Je fais vœu de rester à jamais un enfant
D'intact conserver mon émerveillement
De me plier aux fées qui font que tout est beau
De sourire à la vie, d'en saisir le cadeau

J'ai eu quelques formidables occasions de m'ébaubir ces derniers temps.

A quoi bon se prendre au sérieux ? Des gens tout ce qu'il y a de plus respectables, je dirais même raisonnables, jettent toute leur passion avec... raison dans quelques élucubrations de pochard à vous arracher des pupilles grandes comme des navets, des sourires longs comme des carottes. Et comme la soupe fumante que votre tendre mère vous déposait sous le bec, ces mirages d'adultes destinés aux enfants qui sommeillent en nous ont une texture veloutée à l'envie.

Je me souviendrai toujours de ce petit garçon au Musée Ghibli de Mitaka dans la banlieue de Tokyo, sanctuaire tout puissant, ouvert comme un moulin, à la gloire de ce vieux filou de génie de Hayao Miyazaki, où les gamins hurlent et se vautrent dans un chat-bus en mousse, où les parents redécouvrent extatiquement le principe moteur du dessin animé, et où tout le monde se retrouve en fin de parcours pour, accrochez votre coeur Messieurs Dames, la suite en exclusivité mondiale de Mon voisin Totoro !


Je ne révèlerai rien à ce sujet ; quiconque a un jour aimé le gros dragon-chat (fabuleusement prénommé 小龙猫 de l'autre côté de la mer de Chine) saura que la magie l'attendra sur l'écran. Ainsi que dans la salle. Car lorsque – ah mon dieu ne puis-je donc pas en parler ? - lorsque disons l'événement T se produit, dans un silence complet au plus fort de la tension, ce petit garçon que j'aime comme un fou furieux sans avoir vu son visage, s'est fendu d'un « oooh » d'une telle sincérité et d'une telle émotion (avait-il donc vu Dieu à la place du Totoro ?) que toute l'amphithéâtre soupira de bonheur à sa suite. Ce simple petit cri de ravissement m'arrache encore des larmes à l'occasion, et en ce moment même notamment (mon troisième verre de Bombay Sapphire doit aider j'en conviens).

Toujours est-il que ce petit bambin aurait pleuré de joie lors de la prestation polonaise à l'Internationale des Feux tirés depuis la Ronde sur les accords de Chopin, dont c'est décidément partout et longtemps le bicentenaire. Tandis que je plaquais ma tête entre les barres d'acier du disproportionné pont Jacques Cartier, faisant fi des araignées énormes qui logent sous ses pylônes, oubliant mon vertige dans la contemplation béate de la foule massée quatre-vingt mètres sous mes sandales, quelques vieux fous de Krakow ou de Poznan tiraient en jubilant des fusées aux merveilles, qui s'en allaient recréer au ciel ces mêmes araignées en mille fois plus belles, carnavals de poudres et d'étincelles scintillant sur les flots noirs d'un Saint-Laurent placide, dégringolant par tous les sens en rouge, en or, en diamant et repartant à l'assaut des avions (ô je sais déjà combien je vais pleurer en quittant Montréal, mais serait-ce humainement possible de résister à une dernière salve depuis mon haut hublot si je trouve par bonheur un avion de retour survolant le quartier un samedi soir d'été ? mon cœur survivrait-il à un dernier feu d'artifice qu'il ne saurait lire que comme m'étant dédié ?).


Quelques semaines plus tard, j'eus le bonheur intense d'être de la première du Cabaret des Sept doigts de la main, tenu à l'Olympia dans le cadre de Montréal Complètement Cirque – un dinosaure de plus qui s'en vient brouter l'herbe brûlée et rasée de la demande culturelle dans une ville totalement saturée, mais qui de mon humble avis peut et doit s'imposer comme LE festival qui définira dans dix ans Montréal et le Québec. Ne sommes-nous pas dans la capitale mondiale du nouveau cirque ?

Les sept doigts : un enchevêtrement sans queue ni tête de numéros plus terrifiants les uns que les autres, de la petite trapéziste qu'on a envie de gifler pour la punir d'avoir pris tant de risque et de nous avoir ainsi crispés à la jongleuse lesbienne russe qui balance ses neuf baballes sous une table en tapant des claquettes. Revoir du cirque adulte, quinze après les extraits du Cirque de Pékin à la télévision, c'est plonger soudainement dans la réalité que les acrobates sont de parfaits inconscients, dont les risques inconsidérés n'ont pour raison d'exister que notre propre bonheur jaloux, mesquin et possessif. Je vous aime ! y a-t-il plus belle offrande, plus direct don de soi, de son corps, de ses émotions, que de bondir à huit mètres du sol en vrillant comme un forcené sans même écouter les tonnerres d'applaudissements qui s'en suivent ?

Je pensais avoir trouvé dans la danse contemporaine mon filon pour la vie ; c'était je pense sans compter sur le cirque. Or, depuis que tout gamin je rôdais sous les chapiteaux, une magnifique invention est venue ajouter son grain de ciel à la création foraine : la roue allemande. Taisons-nous donc un instant et contemplons les artistes.


Je fais vœu de rester à jamais un enfant
D'intact conserver mon émerveillement
De me plier aux fées qui font que tout est beau
De sourire à la vie, d'en saisir le cadeau

jeudi 15 juillet 2010

Éclatement de bulle

Alerte ! Les spéculateurs ont de nouveau fait des ravages ! On en a trop voulu, trop acheté, trop vendu, bataillé, ferroné, titillé, ajouté, retranché, calculé, revendu, racheté, et tout à coup le chaos. On avait annoncé (à raison) la crise financière de 2009. On avait prédit (à tort) la crise immobilière chinoise. Mais personne n'avait imaginé que la bulle culturelle du Québec serait un jour sur le point d'éclater.

C'était donc à l'orée du mois le Festival international de jazz de Montréal, l'aberrant, l'assourdissant, le tonitruant, l'enthou-siasmant, le beaucoup trop immense FIJM. Un budget de 30 millions de dollars, un programme de 188 pages, dix-sept scènes, un seul décès : ma motivation. Impossible comme diable de faire un choix. Ils étaient tous là, les increvables, les déjà crevés, les monstres sacrés, puis toute la piétaille dont on se fout comme de sa première Molson mais qui font un bien fou aux oreilles. Lionel Richie, Sonny Rollins, John Zorn, George Benson, Manu Katché, Lou Reed, Keith Jarrett, Gary Peacock, Gipsy Kings, Plants&Animals, Brian Setzer, Emilie Simon, KidKoala, Herbie Hancock, Taj Mahal, The Roots, Wax Tailor, Caravane Palace, Rakim, Emir Kusturica, n'en jettez plus ! J'en passe et des meilleurs.

Alors, forcément, la populace est déroutée. Lorsque ni le cœur ni la tête n'y sont plus, cela donne de grands vides à s'en fendre la poire, comme ici un mardi 17h sur la scène Loto-Québec :

Au départ, j'ai donc boudé. Je refusai catégoriquement de pénétrer sur un site au demeurant quadrillé alors qu'il phagocyte l'essentiel du Quartier des Spectacles, bloque la circulation sur deux axes majeurs et sur la ligne verte et vous contraint à entrouvrir votre sac trois fois consécutives quand bien même vous ne descendez qu'au Archambault du coin acheter votre journal. Pis en premier lieu, je n'aime pas le jazz (on va encore me traiter de rabat-joie). En vérité, je crois que je connais trop peu cette musique pour savoir l'apprécier ; sans doute faut-il y voir l'humble soumission du néophyte devant la nébuleuse magique d'un monde qu'il appréhende mal et qu'il respecte par principe de précaution (en voilà un qu'on aurait dû, soit dit en passant, prendre un peu mieux en compte à l'approche des crises sus-mentionnées).

Énéoué. Car au-delà des arabesques musicales des contre-bassistes, pianistes et autres saxophonistes qui se revendiquent vrais... jazzistes ?, le FIJM c'est surtout un immense party à ciel ouvert, l'occasion d'entendre des perles comme "Touche-moi pas avec ton hot-dog" et de croiser sur un même bout de gazon de cinquantenaires américaines venues tout droit du Massachussets, à l'accent posh et à la culture poche (ha !), de jeunes dandys noirs en queue de pie et chapeau de feutre, des groupes d'iraniens et pakistanais en sortie annuelle, saris, voiles et babouches, des québécois pure souche descendus pour dimanche de leur lointaine banlieue, famille au grand complet, de la petite soeur à tresses au grand-père un peu ivrogne qui traîne partout sa chaise, et puis encore des accros de la première heure, de vrais connaisseurs, des filles – beaucoup, et belles, des hommes aussi – beaucoup, et beaux. Du monde à en avoir le vertige et à rester chez soi, en sélectionnant attentivement deux concerts pour lesquels on est prêt à payer et à se réfugier sous l'air climatisé du Théâtre Maisonneuve.


J'ai ainsi découvert Andrew Bird, multi-instrumentiste chicagoan qui, comme son nom le laisse deviner, siffle. Il joue aussi du violon en le tenant comme un yukulélé. Il gratte un peu sa guitare. Il se pointe en chaussettes sur la scène.  Et il chante : ô, divinement bien, un peu du Jeff Buckley dans la voix, de sensuelles incantations à quelque amour disparu, des odes gutturales à... des expressions en français qui l'auront fait se bananer au collège, et cette étonnante capacité qu'ont les artistes qui se samplent de créer comme un opéra à eux seuls sur la scène. J'ai ainsi enfin trouvé un maître à XiaoHe, ce petit génie du Hubei dont les chants de gorge se répondent au gré de ses coups dans les pédales de rythme.


Également découvert l'excellente Ana Popovic, dont les attaques intrépides à son manche de guitare m'ont fait rater la moitié du concert de Kusturica (quoique personne ne sait que j'ai également fui la seconde moitié de dépit et de lassitude, laissant le gourou des Balkans massacrer les Floyd et Deep Purple à grands coups de gipsy punk et d'insultes à MTV). La très sexy Ana, elle, se moque pas mal des apparences : elle emmanche son instrument et le tabasse à plus soif, invoquant les grands noms de son adolescence – un certain Mississippi Heat ? - tout autant que les fées du rock'n'roll.

On est donc quand même assez loin du jazz avec tout cela. Le FIJM, c'est plutôt la Fête ou il est Interdit de Jeuner sur la Molson, tout le monde est heureux, tout le monde se sourit, ça ne fait honneur au jazz que pour les quelques centaines de journalistes accrédités pour toutes les salles, mais dans le fond j'ai passé deux semaines dans... ma bulle. Elle n'a pas éclaté. Ce fut un chouette kaléidoscope.

jeudi 1 juillet 2010

Update sur Jackie Chan

Je n'avais jamais vu cette page. Ca remet un peu dans le contexte. On parlait visiblement des régulations du SARFT pour la production de films sur le territoire chinois.

J'adore le mandarin de Jackie Chan. Ca lui va très bien.

Et puisque ce post ne va pas très loin j'en profite pour me demander pourquoi 普通话, littéralement "la langue commune", est devenu mandarin en français. On préfèrera à l'avenir l'expression "chinois standard".

En beaucoup moins standard :

L'art con tape aux reins

Et de fait, si tous les jours je me brise le dos à grimper la côte de Sherbrooke sur mon vélo rouillé, c'est pour tomber, au coin sud-ouest du parc Lafontaine, sur ceci :
Congrégation politique ? Evénement sportif interprovincial ? Que nenni. Il s'agit d'art. Le long de Sherbrooke, il faut le dire, on est gâtés : il suffit de marcher deux-cents mètres vers l'est pour trouver un sublime pylône d'acier délibérément amputé de sa partie haute, gracieusement offert par la France au Québec pour l'anniversaire du Général De Gaulle, d'un geste dans lequel je lis une condescendance suprême.

J'étais curieux néanmoins, dépassant jour après jour cette étonnante et très voyante construction pour m'élancer, tout en sueur et sentant la moufette, dans la piste cyclable embourbée de Brébeuf. Ces drapeaux, quoique je ne leur attribuais que très suspicieusement  une valeur esthétique, me touchaient subtilement tant ils évoquaient d'immenses drapeaux tibétains, sortes d'hybrides de loungta (les petites guirlandes pentacolores qui récitent les mantras) et de darchok (bannières plus volumineuses suspendues sur des mats) - je viens d'apprendre la différence tout en même temps que vous.

Je demandai alors autour de moi, personne ne sût me répondre. La clé du mystère ? elle se trouvait tout bêtement sur un écriteau de la municipalité fixé au pied du dernier de ces drapeaux. Il s'agit, ô surprise, d'une oeuvre de Daniel Buren, oui oui, l'auteur des colonnettes du Palais-Royal, Lion d'Or à Venise en 1986. Artiste influent et reconnu. Le texte explique :

Neuf bannières rectangulaires sont fixées individuellement à autant de mâts en aluminium brossé. Elles présentent des bandes verticales de couleur verte, rouge, jaune, bleue ou noire. Elles sont disposées par ordre alphabétique des couleurs, du centre vers les extrémités. Elles réfèrent au vent et à l'eau, en hommage aux éléments dominants lors de l'arrivée de Jacques Cartier il y a 450 ans.

Mouais. Après une déconcertante visite au très côté Musée d'Art contemporain de Montréal, qui vaut davantage par son emplacement (on est très satisfait d'en ressortir pour aller s'enfiler des bières sur Sainte-Catherine) que par sa programmation, si tirée par les cheveux qu'on s'en arrache les siens propres, je persiste et signe : plus que jamais, en 2009, on parlerait plus justement d'Art (qui ne) Contemple rien...

Les promeneurs d'ailleurs ne s'y trompent guère, qui tournent allégrement le dos !