mardi 15 juin 2010

La maison sans les rêves

Cela faisait cinq ans, depuis la fin de mes années parisiennes, que je n'avais pas vu Cocorosie en spectacle ; entre temps, sur la seule foi de leurs trois premiers albums studio, les deux sœurs Cassady s'étaient imposées dans mon coeur comme l'un des groupes les plus émouvants de l'époque (bien que wikipedia les classe en... "inclassable" !). Cela faisait cinq ans également que je n'avais plus vraiment assisté à aucun concert d'une tête d'affiche internationale en Occident. Et ma foi - nouveau complexe de vieillissement avant l'heure : ce n'est plus du tout de mon âge, cette affaire-là.

Né en 1925, l'Olympia de Montréal est superbe : immense salle aux murs rouge baroque peinturlurés d'enluminures d'or, quatre bars dont deux idéalement placés dans les angles morts de la scène, et une jauge de possiblement 2.000 entrées debout, qui n'était sans doute pas loin d'être atteinte hier soir. Quelques signes ne trompaient pas, attestant que j'appartenais désormais à la génération des retraités du milieu : désir proche du néant de patienter dans la line-up qui s'étalait sur quasiment un bloc, et que jusqu'au bout j'observai s'effilocher ; station statique, debout bras croisés, durant les cinq premiers titres ; tympans proches de la rupture lors de chaque vague d'applaudissements. (On notera au demeurant que le public montréalais atteint des niveaux de décibels dont je n'ai pas souvenir en Europe : héritage anglo-saxon ? modification génétique née de l'habitude de hurler après les chiens dans le blizzard ?). Et lorsque la foule, jeune, essoufflée et heureuse, se mit en tête de quitter la salle après un seul rappel (set-list totale de seize tracks, on a vu mieux), je me suis patiemment quoique néanmoins solidement accroché à l'un des bars précités, sur le tabouret duquel j'ai observé la marée humaine refluer en feuilletant un magazine, échangeant quelques regards complices avec mon voisin désœuvré qui fut le seul spectateur ostensiblement trentenaire que j'aurais aperçu au final.

Anyway. Si je poursuis ma vie au Québec, tout devrait s'arranger.


Toujours est-il que, contrairement à mon esprit qui lentement mature (s'érode ?), notre duo Freak Folk a su rester parfaitement freak et même dévier légèrement vers le hard-core. Dans un show parfaitement rodé, au cours duquel Bianca a changé trois fois de costume, on passe un peu par tous les genres et par toutes les ambiances imaginables, avec toutefois une contrainte liée au fait que le seul vrai instrumentiste est un beat-boxer. Pour aussi talentueux qu'il soit - avec il est vrai un assez impressionnant solo en milieu de spectacle, l'ensemble souffre pêche sévèrement au niveau du renouvellement rythmique. Bianca a beau s'être initiée au oud et à la clarinette, Sierra a beau s'évertuer à sautiller de long en large des poignées de ballons "Smiley" à la main, l'ensemble du concert manque finalement de ce qui faisait autre fois la force de CocoRosie : la poésie et l'humour, la beauté féérique née d'expérimentations tendres au milieu du grand calme

Qu'il est loin le temps où la fratrie se produisait à quinze heures dans les festivals hippies, avec le sublime Spleen, brillant slameur à ses heures, d'une humilité magique à la rythmique. Je me souviens encore avec émoi de ce concert à Evreux, au cours duquel le bel éphèbe avait progressivement émergé au-dessus des Cassady pour asséner un rap très lucide au beau milieu de la foule, qui s'était écartée autour de lui telle la mer Rouge sur Moïse, avant qu'il ne regrimpe sur la scène pour redonner la parole à la harpe dans un fondu impeccable. Voilà sans doute ce que Cocorosie a perdu depuis mes chères années parisiennes : de la subtilité.
 

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