Assisté ce soir, dans le cadre du Festival Transamériques (FTA), à une représentation inédite au Canada d'une création pour le moins intense de deux chorégraphes burkinabés, Seydou Boro et Salia Sanou (qui, si ma mémoire ne flanche pas tant que ça, figuraient parmi les « 100 personnalités de l'année » choisies par Jeune Afrique en janvier 2010). Elle fut présentée pour la première fois à Montpellier-Danse en 2008.
On sait pertinemment, lorsque l'on va voir de la danse africaine, que l'on s'expose à une heure de performance autrement plus dynamique que la poésie subtilement triste des Kylian et autres Martha Graham, complaintes déchirantes du violoncelle, équilibres travaillés jusqu'à l'écœurement, scénographie épurée en infinis voiles noirs.
Avec la compagnie Salia nï Seydou, on se place immédiatement dans l'urgence et ça peut faire très mal. L'origine de la pièce pose d'emblée le décor : fin 2006, après quinze années de tractations et concessions, les deux compères parviennent enfin à ouvrir à Ouagadougou le premier centre chorégraphique de tout le continent africain. Las, alors que la Termitière inaugurait en grande pompe, policiers et militaires s'entretuaient sur le trottoir d'en face. Balles perdues, civils atteints, détresse. Alors ces deux noirs magnifiques, aux muscles déliés aussi puissants qu'habiles, comme toujours les hommes dans la danse africaine (qu'on se rappelle le superbe Sacre de Heddy Maalem), se mettent au travail. Ils veulent se poser comme témoins ; témoins de la violence inouïe contenue dans chaque homme, dans chaque pensée, dans chaque geste.
Durant une heure dix, portés par le tintamarre assourdissant et quasi ininterrompu des percussions, les sept danseurs s'écharpent : ils se brisent, s'écroulent, se redressent, tremblent et trépignent, se rapprochent, se consolent et se protègent pour mieux retomber dans l'ivresse guerrière, dans l'horreur des coups, du mépris, de la haine.
Les quarante premières minutes sont une succession de batailles rangées, à peine entrecoupées : de trop rares moments de tendresse, de trêve dans la lutte, portées par la voix maternelle de la chanteuse Djata ou les arabesques hautement fraternelles de deux danseurs mâles. Chaque fois, l'espoir s'effondre : la musique rugit de nouveau, hommes et femmes se mutilent de nouveau. La dernière scène dansée voit même Sanou venir achever la bonne mère, qui termine sa mélopée allongée sur le dos, tirée par les épaules, comme un simple cadavre.
La création burkinabèse, décidément, se porte bien. J'avais été fasciné par un ou deux spectacles entrevus à Marrakech cet hiver, dans le cadre d'un festival de danse contemporaine. Ici, Boro et Sanou réussissent l'exploit d'une chorégraphie millimétrée, répétitive, lancinante, quasi robotique, qui donne malgré tout l'impression que chacun des danseurs, chacun des musiciens a été exploité jusqu'au cœur de ses possibilités physiques et artistiques, jusqu'aux tréfonds de sa sensibilité, d'où il ressort invariablement la violence, mais aussi et surtout ce sourire lumineux sur les lèvres de tous au moment des vivas.
Un bien beau spectacle. Dernière demain soir, à l'Usine C (Papineau).
On sait pertinemment, lorsque l'on va voir de la danse africaine, que l'on s'expose à une heure de performance autrement plus dynamique que la poésie subtilement triste des Kylian et autres Martha Graham, complaintes déchirantes du violoncelle, équilibres travaillés jusqu'à l'écœurement, scénographie épurée en infinis voiles noirs.
Avec la compagnie Salia nï Seydou, on se place immédiatement dans l'urgence et ça peut faire très mal. L'origine de la pièce pose d'emblée le décor : fin 2006, après quinze années de tractations et concessions, les deux compères parviennent enfin à ouvrir à Ouagadougou le premier centre chorégraphique de tout le continent africain. Las, alors que la Termitière inaugurait en grande pompe, policiers et militaires s'entretuaient sur le trottoir d'en face. Balles perdues, civils atteints, détresse. Alors ces deux noirs magnifiques, aux muscles déliés aussi puissants qu'habiles, comme toujours les hommes dans la danse africaine (qu'on se rappelle le superbe Sacre de Heddy Maalem), se mettent au travail. Ils veulent se poser comme témoins ; témoins de la violence inouïe contenue dans chaque homme, dans chaque pensée, dans chaque geste.
Durant une heure dix, portés par le tintamarre assourdissant et quasi ininterrompu des percussions, les sept danseurs s'écharpent : ils se brisent, s'écroulent, se redressent, tremblent et trépignent, se rapprochent, se consolent et se protègent pour mieux retomber dans l'ivresse guerrière, dans l'horreur des coups, du mépris, de la haine.
Les quarante premières minutes sont une succession de batailles rangées, à peine entrecoupées : de trop rares moments de tendresse, de trêve dans la lutte, portées par la voix maternelle de la chanteuse Djata ou les arabesques hautement fraternelles de deux danseurs mâles. Chaque fois, l'espoir s'effondre : la musique rugit de nouveau, hommes et femmes se mutilent de nouveau. La dernière scène dansée voit même Sanou venir achever la bonne mère, qui termine sa mélopée allongée sur le dos, tirée par les épaules, comme un simple cadavre.
La création burkinabèse, décidément, se porte bien. J'avais été fasciné par un ou deux spectacles entrevus à Marrakech cet hiver, dans le cadre d'un festival de danse contemporaine. Ici, Boro et Sanou réussissent l'exploit d'une chorégraphie millimétrée, répétitive, lancinante, quasi robotique, qui donne malgré tout l'impression que chacun des danseurs, chacun des musiciens a été exploité jusqu'au cœur de ses possibilités physiques et artistiques, jusqu'aux tréfonds de sa sensibilité, d'où il ressort invariablement la violence, mais aussi et surtout ce sourire lumineux sur les lèvres de tous au moment des vivas.
Un bien beau spectacle. Dernière demain soir, à l'Usine C (Papineau).
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