Si dans cette folle fin de semaine, vous hésitiez encore entre aller fêter l'ouverture de la Coupe du Monde dans les cafés et bars mexicains, français, coréens ou grecs de la ville, admirer les voitures de course lors des célébrations du Grand Prix de Montréal à la Petite Italie, profiter de la fin du Fringe ou de l'ouverture des Francofolies, vous auriez malgré tout oublié l'essentiel : car après avoir été primé trois fois par feu le Festival International de Nouvelle Danse dans les années 1990, le plus bel amant que notre ville ait jamais porté en son coeur était de retour pour clôturer le FTA : Saburo Teshigawara.
Et son solo Miroku, créé en 2007, est venu rappeler au monde que, comme l'indique le nom de sa compagnie, Karas - ah, les corbeaux de Yasukuni.... - le Japon est, objectivement et irrémédiablement, le plus beau pays du monde.
(je m'excuse de systématiquement insérer des vidéos de promotion du FTA mais c'est incroyablement difficile de trouver plus pertinent sur la toile)
Non content d'être un vidéaste et plasticien reconnu, Teshigawara dessine également l'intégralité de ses spectacles : chorégraphie, exécution, sélection musicale, scénographie, costumes. Il avouera même, à l'issue de la représentation, avoir souhaité être aussi spectateur, ce qui s'avéra techniquement impossible. Fort dommage pour lui : nous autres avons hautement apprécié, et le festival s'est conclu sur une standing ovation de près de dix minutes.
Le plan feux est, au bas mot, l'un des plus somptueux qui m'ait été donnés de voir : une précision magistrale dans la définition du champ et de l'intensité de chacun des 192 spots (m'a-t-il semblé, quoique Teshigawara parle encore mieux l'anglais qu'une vache catalane) qui sont braqués sur lui, truffant l'épopée de l'avènement du buddha futur (le miroku) de références à Kubrick, d'une sorte de futurisme oppressant d'où jaillit, éblouissant, le sacré, le puissant.
Puissante également s'avère la gestuelle du maître japonais, qui en quelques instants de présence sur scène renvoie déjà à leurs cités-carton les plus éminents danseurs du hip-hop et de la tectonique (plutôt spécialistes d'un mire-au-cul jamais subtil), fait passer le moonwalk du King pour les lourdes bottes de Neil Armstrong et vous ferait signer d'emblée pour vingt minutes de copyrights dans la prochaine mouture de Baraka.
C'est intense : le jeune homme cherche, traverse plusieurs péripéties (je verrais bien dans l'épisode déjanté de l'ampoule quelque allégorie au secret de l'univers découvert par Prométhée, si ce n'était une interprétation étroitement occidentale), finit par comprendre quelque chose, capter une essence qui nous laisse démunis, et comme de sa chrysalide ressort d'une éprouvante - et ô combien 2001-odysséenne - mue qui fait de lui, enfin, le Miroku. Teshigawara termine alors sur quelques mouvements d'une fluidité exceptionnelle sur le ronron lancinant d'une cithare, juste lorsque l'on en venait à prier pour quelque passage calme, le son d'une violoncelle ou d'un hautbois. Justesse, maîtrise des durées et des distances, riche palette d'émotions et environnement visuel envoûtant : difficile d'exiger mieux en danse contemporaine.
Du coup je suis pris entre plusieurs feux : dois-je vraiment retourner vivre à Tokyo ? puis-je décemment élargir le trône d'or que j'ai bâti au Nederlands Dans Theater ? Possible. Allez, pas quand même : Bouddha harmonieux ou non, le vrai maître c'est le couple Lightfoot / Leon.
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