Pour rester dans la danse, l'ouverture du FTA marquait un double grand évènement : à la fois la première canadienne de Nearly 90 et, par ricochet, la toute dernière apparition à Montréal de l'un des grands dinosaures de la danse contemporaine, le new-yorkais Merce Cunningham, disparu en juillet 2009 à... presque quatre-vingt-dix ans. La très instructive discussion post-spectacle nous apprend notamment qu'au travers de son Legacy Plan, l'artiste a surtout choisi de ne pas laisser de vrai héritage, l'essentiel de ses créations devant faire l'objet de captations vidéos lors d'une gigantesque tournée d'adieux de deux ans, avant la dissolution pure et simple de la compagnie. Il s'agissait donc d'une dernière pour ouvrir : l'émotion se devait d'être au rendez-vous, et toute la presse en tremblait ! Il faut bien dire que le trailer portait beau :
Ce que ledit trailer montre peu en revanche, mais dont on perçoit déjà des bribes ici (il s'agit d'une captation lors de la création de la pièce à Brooklyn, la scénographie monstrueuse a depuis disparu pour des raisons logistiques), c'est l'insupportable cacophonie prétendument musicale que nous imposent, sur une bribe de "composition" de l'ancien bassiste de Led Zeppelin, les deux musiciens présents dans la fosse, John King et Takehisa Kosugi.
Je veux bien que la musique électro-acoustique soit un champ d'expérimentations, peuplé de créatures sonores étranges, souvent dérangeantes, parfois enchanteresses. L'ennui, c'est qu'elles ne le sont que trop rarement, enchanteresses, et qu'il faut avoir l'oreille sacrément avertie pour en tolérer plus de quinze minutes en improvisation. Dieu sait que j'ai pourtant donné ! je me souviens des délires lumineux de deux vieux polonais au Conservatoire central de Pékin, dont les élucubrations à base d'appeaux à oiseau et d'ampoules cathodiques les propulsaient joyeusement en enfance, et le public avec. Pour le reste : une capacité de concentration hors-norme et une vraie formation musicale sont, me semble-t-il, indispensables à une bonne appréciation de cette forme artistique pour le moins marginale.
Le problème de Nearly 90, c'est que la danse de Cunningham, elle-même, demande déjà une intense concentration. Tout est fait de déhanchés, de cassures, de rebonds aléatoires, de longues poses équilibristes. Chacun des interprètes dispose de toute la liberté voulue pour proposer sur scène ses propres découvertes, ses mouvements les plus spontanés. Ce serait sublime sur du silence complet, à la limite quelques pizzicatos de violon. Au lieu de cela, lorsque par miracle le spectateur parvient à se reconcentrer trois minutes sur le propos, les deux autistes du dessous s'en reviennent massacrer l'harmonie naissante par des distorsions rageuses d'une quelconque casserole qu'ils auront raclée contre un clou rouillée ou une carapace de tatou. C'est aussi malsain que Salad Finger, le volume excessif en plus. Car le fait est : le volume est poussé à son maximum, jusqu'à la saturation physique brute, jusqu'à l'implosion du tympan.
Alors voilà : passées les quinze premières minutes, je n'ai plus tenu en place, je désirais en permanence quitter mon siège, pour fuir le bruit, pour m'enfermer dans la salle de bains et pleurer.
Et c'est fort dommage - car la chorégraphie est intrinsèquement sublime, les danseurs d'une légèreté rare pour des corps occidentaux, les costumes tout à fait irrésistibles (sortes de secondes peaux noir d'ébène, transpercées de lignes blanches solaires qui peu à peu s'élargissent, à mesure que la combinaison s'éloigne de la peau, gagne en ampleur, se transforme en ailes de condors). Le spectacle est probablement magnifique ; mais calice ! pourquoi avoir choisi de le torpiller à ce point ?
Je reste très suspicieux au final. Car Kosugi fut, trente années durant, le comparse le plus fidèle de Cunningham. Il ne pouvait pas ne pas savoir. Qu'a-t-il alors voulu dire à travers ce spectacle, à travers ces choix artistiques incroyablement contradictoires ? Quelle réponse à la vie, quel héritage devons-nous y trouver ? La consolation que sous le bruit et la fureur survivent, inattaquées, la douceur et la paix ? Mouais....
Je veux bien que la musique électro-acoustique soit un champ d'expérimentations, peuplé de créatures sonores étranges, souvent dérangeantes, parfois enchanteresses. L'ennui, c'est qu'elles ne le sont que trop rarement, enchanteresses, et qu'il faut avoir l'oreille sacrément avertie pour en tolérer plus de quinze minutes en improvisation. Dieu sait que j'ai pourtant donné ! je me souviens des délires lumineux de deux vieux polonais au Conservatoire central de Pékin, dont les élucubrations à base d'appeaux à oiseau et d'ampoules cathodiques les propulsaient joyeusement en enfance, et le public avec. Pour le reste : une capacité de concentration hors-norme et une vraie formation musicale sont, me semble-t-il, indispensables à une bonne appréciation de cette forme artistique pour le moins marginale.
Le problème de Nearly 90, c'est que la danse de Cunningham, elle-même, demande déjà une intense concentration. Tout est fait de déhanchés, de cassures, de rebonds aléatoires, de longues poses équilibristes. Chacun des interprètes dispose de toute la liberté voulue pour proposer sur scène ses propres découvertes, ses mouvements les plus spontanés. Ce serait sublime sur du silence complet, à la limite quelques pizzicatos de violon. Au lieu de cela, lorsque par miracle le spectateur parvient à se reconcentrer trois minutes sur le propos, les deux autistes du dessous s'en reviennent massacrer l'harmonie naissante par des distorsions rageuses d'une quelconque casserole qu'ils auront raclée contre un clou rouillée ou une carapace de tatou. C'est aussi malsain que Salad Finger, le volume excessif en plus. Car le fait est : le volume est poussé à son maximum, jusqu'à la saturation physique brute, jusqu'à l'implosion du tympan.
Alors voilà : passées les quinze premières minutes, je n'ai plus tenu en place, je désirais en permanence quitter mon siège, pour fuir le bruit, pour m'enfermer dans la salle de bains et pleurer.
Et c'est fort dommage - car la chorégraphie est intrinsèquement sublime, les danseurs d'une légèreté rare pour des corps occidentaux, les costumes tout à fait irrésistibles (sortes de secondes peaux noir d'ébène, transpercées de lignes blanches solaires qui peu à peu s'élargissent, à mesure que la combinaison s'éloigne de la peau, gagne en ampleur, se transforme en ailes de condors). Le spectacle est probablement magnifique ; mais calice ! pourquoi avoir choisi de le torpiller à ce point ?
Je reste très suspicieux au final. Car Kosugi fut, trente années durant, le comparse le plus fidèle de Cunningham. Il ne pouvait pas ne pas savoir. Qu'a-t-il alors voulu dire à travers ce spectacle, à travers ces choix artistiques incroyablement contradictoires ? Quelle réponse à la vie, quel héritage devons-nous y trouver ? La consolation que sous le bruit et la fureur survivent, inattaquées, la douceur et la paix ? Mouais....
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