jeudi 10 juin 2010

Un peu de burlesque noir


Poursuivi ma semaine de danse contemporaine avec un amusant spectacle du collectif portugais Bomba Suicida, névrotiquement intitulé From me I can't escape, have patience! (inspiré du non moins névrotique poème éponyme : […] How fearsome! / I close my eyes and see / Gore, B horror films, Blood, guts, violence! [...]). Et vingt-quatre heures après la danse punk, j'ai ainsi eu la chance de plonger au cœur de la danse expressionniste.


Une chorégraphe, la timide Tania Carvalho, qui accompagne ses danseurs sur scène en jouant du piano, se permettant une composition qui tient rudement la route trois ans seulement après avoir commencé l'étude de la musique, c'est déjà original. Un spectacle créé sur des improvisations désespérées, né de nuits blanches à visionner et revisionner ensemble le Metropolis de Fritz Lang, voilà qui donne assurément le ton.

Et de fait, dans les accords tendus qu'assène Carvalho, dans les grimaces odieuses dont nous gratifient les quatre interprètes, il y a du Nosferatu autant que du Keaton. On est dans le plus pur burlesque, dans le théâtre bouffon. Les personnages bondissent, hurlent, tirent la langue ; leurs coiffures évoquent vaguement un Sangohan en plein combat, leur maquillage un avatar dégénéré de Frankenstein (je n'ai toujours pas décidé si Luis Guerra portait ou non un masque, mais son visage était décidément horrible). Dès le premier mouvement, j'ai pensé à cette troupe de théâtre complètement absurde de Condate auprès de laquelle Astérix et Obélix tentent de remplir leur chaudron.

La scénographie est d'autant mieux réussie qu'il n'y en a pas : une pénombre absolue, de laquelle un plan feux impeccable excise un étroit rectangle de lumière, qui fait office de prison virtuelle aux marionnettes qui y déambulent – un avisé spectateur, ostensiblement marié de frais à une Portugaise, soulignait à l'issue de la représentation une possible analogie avec les poupées du nord du pays. On voit bien que, tour à tour, les acteurs essaient de s'en échapper, qu'ils peinent à s'échouer dans des recoins invisibles, sur les murs immatériels de cette cellule insane. Car si expression il y a, c'est avant tout celle de la folie humaine, celle de l'incarcération dans sa propre conscience – d'où le titre. On y incarne des formes bestiales, primitives : qui un crapaud, qui un lombric, qui une poule niaiseuse et bornée. Des pulsions violentes ressurgissent : fécales, sexuelles, mais par dessus tout le besoin de vivre, de sautiller.

On est ainsi loin du vulgaire : chaque interprète s'empêtre dans sa propre folie avec un humour bondissant, impeccablement servi par une gestuelle agréable à défaut d'être géniale. La construction chorégraphique, au demeurant, prend tout son sens à mi-spectacle lorsque le retour impromptu des quatre danseurs à leur position originelle remet les compteurs à zéro, comme s'il était décidément impossible de fuir ses propres fantômes : fin du premier round, tout est à refaire. Pourtant, c'est le spectateur qui ressort K.O. Car, malheureusement, petit à petit tout s'enlise. Comme dans un combat de judo, une grosse deuxième moitié de l'action se déroulera au sol ; le piano-jury cesse de compter les points, ralentit, s'embourbe dans la répétition, et l'on en vient à se désintéresser des élucubrations terreuses de cette nichée de limaces quasi anencéphales.

Si le spectacle finit par mourir avec ses idées, il connut néanmoins vie pimpante et l'on ressort avec un sourire inversement proportionnel à la durée de la pièce (45 petites minutes). Une compagnie inventive donc, à qui j'ai envie de souhaiter la plus grande réussite dans l'avenir. C'est que l'expressionnisme, peut-être, n'a pas encore été poussé à bout, malgré quelques brillants chefs d'oeuvre.
   

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